7/25/2013

Sur le campus

On parlait ici même, il y a quelques semaines, de Hannah Arendt et de la campagne de dénigrement dont elle fut l'objet après la publication de son livre, Eichmann à Jérusalem, dit l'Ethnologue*. A Chicago, où elle enseignait, Arendt avait pour collègue Leo Strauss, futur maître à penser des néoconservateurs américains. S'en étonnera-t-on, Arendt et Leo Strauss ne s'aimaient  guère. Arendt dit dans une de ses lettres que Strauss faisait de "l'agitation contre [elle] sur le campus". Mais "il l'aurait fait de toute façon", précise-t-elle**. Il serait exagéré de dire que l'histoire du dernier demi-siècle aux Etats-Unis se résumerait en une victoire posthume de Leo Strauss sur Hannah Arendt. Les choses sont bien sûr plus compliquées. Hannah Arendt reste aujourd'hui encore très lue et admirée aux Etats-Unis. Malgré tout on peut se demander ce que penserait aujourd'hui l'auteur des Origines du totalitarisme de l'état actuel de l'Amérique, avec ses guerres à répétition, son système d'espionnage généralisé, l'hyperviolence de ses dirigeants, leur goût, effectivement, invétéré pour les conspirations, etc., elle qui mettait en garde contre le mensonge et la violence, en même temps que contre l'idée selon laquelle le pouvoir se réduirait, justement, à la violence.

* "La moindre larme", 10 mai 2013; "Etat des lieux", 12 mai 2013.
** Hannah Arendt, Lettre à Karl et Gertrud Jaspers, 24 novembre 1963.