3/31/2015

Dictionnaire

Bref, si je comprends bien, avant de …, on devrait commencer par …, dit l'Ecolière. Effectivement, ce serait logique. Je me porte même volontaire, s'il le faut. De telles … Je te l'ai déjà dit plusieurs fois, dit l'Avocate: je ne veux pas que tu parles comme ça à la maison. Ailleurs, tant que tu veux, mais pas ici. Surtout devant des visiteurs. Ton père serait très mécontent s'il l'apprenait. On peut tout dire dans la vie, ce n'est pas en soi un problème. Mais pas n'importe comment. On t'a donné un dictionnaire pour ton anniversaire, ça sert à quoi ce dictionnaire? Tiens, va dans ta chambre. Tu as une demi-heure pour me trouver une dizaine de synonymes (ou davantage encore). Excusez-la, M. le Visiteur. Elle est  encore très jeune. Elle répète mécaniquement ce qu'elle entend dire autour d'elle, à l'école notamment. Simplement elle en inverse les termes. Voyez à quoi sert l'école de nos jours. Quel effondrement.



3/27/2015

La moindre

Un phénomène aujourd'hui bien visible, c'est celui des églises qui se vident, dit le Visiteur. Il s'explique de diverses manières, mais on pourrait se demander si l'une des raisons au moins ne serait pas la fascination que semble exercer sur les clercs le statut de "dhimmi", fascination qu'illustre bien la visite récente du pape à Lampedusa. Comparons la posture de ce dignitaire à celle de son lointain prédécesseur au XVIe siècle, Pie V, qui en appelait, juste avant Lépante, à la résistance à l'envahisseur. Quel contraste! En ce sens, la désaffection présente à l'égard des églises rejoint celle, également manifeste, à l'égard de l'Etat républicain. Dans un cas comme dans l'autre, il y a un sentiment d'abandon, sentiment s'articulant à une constatation qu'il faut bien qualifier d'objective: celle selon laquelle le berger a trahi sa charge, autrement dit ne protège plus le troupeau confié à ses soins. Et non seulement cela (ne le protège plus), mais a complètement basculé dans l'autre camp: celui du loup. D'où cette désaffection que l'on constate, désaffection, occasionnellement, teintée de mépris (c'est, par exemple, le sens qu'il faut donner à l'abstentionnisme). On pourrait aussi parler de délégitimation. Comment, en effet, continuer à tenir pour légitime le berger (civil, mais aussi ecclésial) qui (par faiblesse, lâcheté, stupidité profonde, vénalité, idéologisme, démagogie: peu importe) trahit la charge qui lui a été confiée: la trahit pour pactiser avec le prédateur ?

3/22/2015

Pendant qu'on y est

Oui, je sais, dit la Poire. Certains disent que si le terrorisme n'existait pas, il faudrait l'inventer. J'ai entendu ça. Les dirigeants n'auraient peut-être pas exactement inventé le terrorisme, en revanche ils l'utiliseraient comme prétexte pour faire ceci ou cela: liquider ce qui subsiste encore des libertés individuelles, par exemple. Je sais. D'autres vont plus loin encore, n'hésitant pas à dire que leurs prétendues lois anti-terroristes n'ont en aucune manière pour objet de combattre le terrorisme (il leur est d'un beaucoup trop grand profit), mais de prévenir toute velléité d'autodéfense (à plus forte raison encore de révolte) des citoyens, en particulier des laissés-pour-compte de la mondialisation, ce qu'on a appelé la "France périphérique"*. Ce seraient eux les gens à surveiller: eux et non pas du tout les …, qu'ils considèrent au contraire, on se demande bien  pourquoi d'ailleurs, comme des alliés naturels et objectifs. On peut naturellement tout dire, et pendant qu'on y est, pourquoi pas, rappeler le rôle historique des Etats-Unis et de leurs alliés sunnites au Proche-orient dans l'émergence et la montée en puissance des principaux groupes … à travers le monde, groupes, au demeurant, qu'ils continuent aujourd'hui encore à soutenir activement (mais évidemment ils n'iront pas le crier sur les toits). Qu'est-ce qu'on ne raconte pas. Dieu merci, j'ai appris depuis longtemps à penser par moi-même. Donc, je disais...

* Christophe Guilluy, La France périphérique, Flammarion, 2014.






3/21/2015

Etat de droit

L'autre jour, sur France Inter*, ils présentaient leur nouvelle loi sur le renseignement, dit l'Avocate. Au nombre des intervenants, un ex-membre des services spéciaux, qui entretemps s'est reconverti dans la "magistrature". Je ne sais plus si c'est lui ou un autre, mais à un moment donné quelqu'un a dit qu'il ne fallait pas accorder trop d'importance à cette loi, car ce qu'elle autorise**, à vrai dire justifie et même encourage, existe en fait déjà: c'est déjà une réalité. Au-delà du cynisme du propos (il faudrait y revenir), cet apparatchik recadre utilement le débat. Certains, citant Orwell (1984), tirent aujourd'hui la sonnette d'alarme en disant que le régime français serait en train de basculer dans le totalitarisme. En réalité, ce basculement a déjà eu lieu. Il y a belle lurette que la police secrète française, à l'instar de son homologue américaine, s'est outillée pour intercepter l'ensemble des communications électroniques en France, et ensuite les stocker dans des bases de données. Tout le monde, aujourd'hui, est sur écoute, et tout le monde le sait. Le Monde lui-même, il y a quelques années, avait consacré plusieurs articles à ce sujets (non démentis)***. Bref, en la matière, les dirigeants ont toujours fait ce qu'ils voulaient. Sauf que, jusqu'ici, ils étaient dans l'illégalité, alors que, maintenant, ils peuvent se revendiquer de l'état de droit. La loi s'étant ainsi alignée sur la pratique, tout ce qui jusqu'ici était illégal devient par là même légal. Mais c'est la seule nouveauté, il n'y en a pas d'autre. L'occasion ici de rappeler, ce qu'on oublie souvent, que le totalitarisme est parfaitement compatible avec l'état de droit. Le régime stalinien en est un exemple (relisez Soljénitsyne), mais aussi le régime nazi (relisez Hannah Arendt).

* 18 mars 2015.
** Détails dans le Figaro, 17 mars 2015 (p. 2-3).
*** 5 juillet 2013, 21 mars 2014, 22 mars 2014, etc.









3/15/2015

Un beau jour

J'ai relu hier La Grande Peur dans la montagne, dit l'Ethnologue*. C'est saisissant comme texte. L'histoire, emblématique, est celle d'une catastrophe: la montagne, un beau jour, qui se met en mouvement, renversant tout sur son passage. Car, comme le dit Ramuz, "la montagne a ses idées à elle", elle a "ses volontés". A l'époque de Ramuz, on ne savait pas encore ce qu'était l'économie-monde. Mais on en vivait déjà les commencements. Le roman a pour arrière-plan les tensions inter-générationnelles au sein d'une communauté villageoise, communauté, en fait, qui est un microcosme. En plus petit c'est ce qui se passe ailleurs en plus grand. Les "vieux" ont été mise au rancart, on considère qu'ils ont fait leur temps. D'autres ont pris le relais, de plus jeunes: ils affichent un mépris tranquille pour la tradition ("de vieilles histoires"). Du passé faisons table rase. Le nouveau maire est un pragmatique: non pas exactement corrompu, mais très limité dans son horizon. Les questions budgétaires, donc d'argent, sont pour lui prioritaires. Il ne voit même que ça. C'est déjà la Nouvelle Classe. Dès lors, les événements se précipitent. Une épidémie, en particulier, se déclare, elle contraint les autorités à décréter l'état d'urgence. Le glas retentit, on enterre les morts. Sauf que certaines personnes ne se laissent pas faire, elles sortent leurs fusils. On néglige volontiers cette dimension-là des romans de Ramuz: la révolte. C'est arrivé demain.

* Ramuz, Romans, Pléiade, t. II, p. 413-536.

3/03/2015

Bastions

Karl Barth, ce nom ne vous dit peut-être rien, dit le Cuisinier. C'est un auteur religieux, il a marqué de son empreinte la théologie protestante du XXe siècle. Voici ce qu'il écrivait en 1939: "L'Eglise doit prier pour la répression et l'élimination du "national-socialisme" comme autrefois, devant des dangers analogues, elle a prié pour "l'effondrement des bastions du faux prophète Mahomet""*. Il faut se méfier des amalgames, dit la Poire. Mettez-vous à la place des intéressés. C'est très stigmatisant. Vous avez tout à fait raison, dit l'Etudiante. En s'exprimant comme il le fait, Karl Barth sacrifie aux stéréotypes. Il compromet le vivre ensemble, porte atteinte aux Valeurs de la République. C'est très dangereux, tout cela. Gare au populisme. Cela dénote une perte des repères. Etc.

* Les Cahiers protestants (Lausanne), janvier 1939, p. 5 (les guillemets sont de l'auteur). Le texte de Barth est précédé d'une présentation due au pasteur Charles Béguin, le directeur, à l'époque, des Cahiers protestants. Cette présentation est assortie d'une critique: "Nous faisons une objection à ces thèses: pourquoi les camper face au seul "national-socialisme" allemand et non contre l'indivisible faisceau de tous les Etats totalitaires" (ibid., p. 4 - guillemets de l'auteur).