12/27/2013

Si tu l'écoutais

Dès lors, qu'est-ce qui serait à sa portée, dit le Collégien? C'est vrai, j'oubliais, tu n'écoutes pas l'Emission, dit l'Ethnologue. Si tu l'écoutais, tu te ferais une petite idée. Tiens, par exemple, la semaine dernière, ils ont beaucoup parlé de l'... L'… par-ci, l'… par-là, ça n'a pas arrêté.  Il faut dire que c'était Noël, et donc, très normalement, ils en ont profité pour mettre les bouchées doubles. Il y a longtemps déjà que Noël n'est plus une fête chrétienne. Pourquoi, à tout prendre, ne pas en faire une fête ...? Bref, une semaine durant, l'... a été à l'honneur. Chaque matin, à leur réveil, les auditeurs ont eu droit à un petit prêche. Un petit prêche de qui? Du Frère bien sûr. Tu vois qui est le Frère: un spécialiste reconnu de l'… Enfin, c'est comme ça qu'ils le présentent. Voilà, c'est un exemple. Ce que dit le Frère, chacun peut le comprendre. Il explique les choses, avec lui tout devient clair. A part cela, tu as évidemment le Gratuit. Le Gratuit, en principe, chacun comprend. Je dis bien, en principe. Et le code pénal.



12/24/2013

En deçà

Le déclin du christianisme, au moins en Europe, est assez évident, dit l'Ethnologue. Mais il est délicat de l'expliquer. Au siècle dernier, Dietrich Bonhoeffer disait que les dogmes chrétiens étaient devenus "problématiques". Autrement dit, on ne pouvait plus y croire comme on y croyait autrefois. Ils servaient d'habillage au christianisme, mais avec le temps cet  habillage était devenu obsolète. Bonhoeffer appelait de ses voeux l'avènement d'un christianisme qu'il appelait "irréligieux", autrement dit sans dogmes ni miracles*. Il rejoignait ainsi les positions de Rudolf Bultmann, un adepte de la démythologisation**. Les dogmes étaient des mythes, au minimum il fallait les réinterpréter. On adhère ou non à ces conceptions, mais on pourrait se demander si elles épuisent le sujet. Aussi bien Bultmann que Bonhoeffer croyaient au progrès, ils pensaient que l'homme européen était passé de l'ère mythique à l'ère rationnelle. C'est une manière de voir, mais elle est sujette à caution. Regardez les tous, par exemple, devant leur tablette électronique. Vous donnent-ils tellement l'impression d'agir et de se comporter en êtres rationnels?  En un sens oui, au sens de la rationalité instrumentale. Techniquement parlant, ces jouets sont très performants. De vraies petites merveilles. Il faut aussi savoir les utiliser, etc. Mais je ne parle pas de ça. Je parle de choses comme l'équilibre mental, la culture, l'esprit critique, la capacité d'abstraction, le sens esthétique, etc. Dès lors, l'appréciation se nuance. Je résumerais ma pensée en me demandant si l'une, au moins, des raisons de l'actuelle désaffection de l'homme européen à l'égard du christianisme ne tiendrait pas au fait que le christianisme, en l'ensemble de ses manifestations, lui serait devenu inaccessible: cela dépasserait ses facultés de compréhension. C'est trop délié, trop compliqué pour lui. Et donc il s'en détourne. Zinoviev disait que la bêtise devait s'apprendre au même titre que l'intelligence*** C'est en fait ça, le problème. L'état mental de l'homme européen s'est aujourd'hui à ce point dégradé que le christianisme, comme bien d'autres choses encore, d'ailleurs, est devenu pour lui hors de portée. Personnellement, je verrais plutôt les choses ainsi. Loin de s'être projeté au-delà du christianisme, l'homme européen a régressé en deçà.

* Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission, Lettres et notes de captivité, Labor et Fides, 2006.
** Rudolf Bultmann, Nouveau Testament et mythologie, Labor et Fides, 2013.
***Alexandre Zinoviev, Les Hauteurs béantes, L'Age d'homme, 1977, p. 79.


12/14/2013

De telles listes

La France extrade ses propres nationaux vers l'Espagne, mais on peut faire mieux encore, dit l'Avocate. La Suisse ne vient-elle pas de livrer aux Américains les noms de plusieurs milliers de ses ressortissants, des gens, justement, dont les Américains, ne connaissaient pas les noms? Ils ne les connaissaient pas, mais souhaitaient néanmoins les connaître, histoire de régler quelques vieux comptes (accessoirement aussi de se renflouer financièrement, leurs guerres à répétition les ayant mis en situation délicate en ce domaine: les caisses sont vides). That's an order: ces noms, et tout de suite. Yes Sir, immediately*. Et donc, dit l'Etudiante? De telles listes sont bien sûr secrètes, dit l'Avocate. Tu dénonces ton voisin, mais tu ne vas évidemment pas lui dire que tu l'as dénoncé. Tu gardes cela pour toi. Mettons donc que ton voisin profite de ses vacances pour franchir la frontière. En règle générale, tout se passe très bien, le voisin rentre chez lui sain et sauf, avec plein de belles histoires à raconter. Mais ce n'est pas toujours le cas. Parfois aussi le voyage se termine au goulag. Comment cela, au goulag, dit l'Etudiante? Je voulais dire, dans un pénitencier américain, dit l'Avocate. Tu sais à quoi ressemble un pénitencier américain. Bref, si je comprends bien, les Etats n'ont même plus besoin aujourd'hui d'extrader leurs ressortissants, dit l'Etudiante: ils s'extradent tout seuls. D'une certaine manière, dit l'Avocate.

* Voir "Etat d'âme", 17 août 2012.












12/05/2013

Nos petites ...

La NSA en est une grande, dit l'Ethnologue. Pour autant, nous ne devons pas perdre de vue nos petites ... à nous: les … européennes. Car, là aussi, l'incrimination "terroriste" occupe une place privilégiée. J'ai cité il y a quelques mois* le cas de cette militante indépendantiste basque, de nationalité française, que son propre pays, la France, avait extradé vers l'Espagne, dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen. Son crime? Avoir assisté à une réunion publique du parti Batasuna, un parti politique aujourd'hui interdit en Espagne (mais pas en France). En soi, déjà, c'était du "terrorisme". Entretemps, elle été élargie, mais elle n'en a pas moins passé plusieurs semaines dans un cul-de-basse-fosse madrilène. Plusieurs semaines pour rien. On constate au passage que les Etats n'hésitent plus aujourd'hui à livrer leurs propres nationaux à des Etats étrangers. Cela ne s'était plus vu depuis la Deuxième Guerre mondiale (pour la France, depuis Vichy). En l'occurrence, l'intéressée n'a même pas eu la possibilité de recourir contre son extradition. En quelques heures tout était réglé. Autre exemple maintenant, celui de ce ressortissant belge, militant des droits de l'homme, contre lequel la Turquie islamiste a émis un mandat d'arrêt international, mandat en exécution duquel il a été incarcéré en Italie. Les islamistes turcs lui reprochaient d'avoir interpellé l'un de leurs ministres sur le sort des prisonniers politiques en Turquie, et cela (crime suprême) en l'enceinte même du Parlement européen. Il l'avait, à juste titre, d'ailleurs, traité de menteur. Ankara le poursuivait donc pour "terrorisme" et demandait son extradition. Dans la prison italienne qui l'accueille, il n'a le droit de téléphoner à ses proches que dix minutes deux fois par mois**. On voit par là comment des organismes comme Europol ou Interpol, soi-disant créés pour combattre la criminalité, sont en fait instrumentés par les Etats pour étouffer toute espèce de critique et de contestation, se transformant ainsi eux-mêmes en organisations qu'on peut légitimement qualifier de criminelles. Et les mêmes viennent ensuite vous expliquer que la Biélorussie n'est pas une "démocratie", un "Etat de droit", etc.

* "Quelques heures à peine", 3 novembre 2012.
** http://www.silviacattori.net/article5094.html