11/30/2014

Bérésina

Tenez, dit la Poire, voilà ce qu'il en reste de votre initiative: elle est rejetée à plus de 75 %. Une vraie Bérésina. C'est sans doute beaucoup vous demander, dit le Cuisinier: mais plutôt que de ne faire que  répéter ce que vous entendez à la radio, peut-être pourriez-vous réfléchir à ceci. Effectivement, comme vous le dites, une majorité de votants a rejeté l'initiative. Tirez-en les conclusions que vous voudrez. Mais en contrepartie, 25 % des votants l'ont approuvée. 25 %, c'est un score très honorable. 25 % de gens qui désobéissent, cela n'arrive pas tous les jours. Elargissons un peu maintenant la perspective. Un sondage de 2006 évaluait à 17 % la proportion des personnes, ici même en France, remettant en cause l'actuelle course à la croissance, la remettant en cause non simplement en paroles, mais dans leurs choix de vie concrets: consommant autrement, travaillant autrement, parfois, même, habitant autrement, etc.* C'est très intéressant comme chiffre. Il rejoint peu ou prou le chiffre suisse. Il y a dans nos sociétés entre 15 et 25 % de gens qui ne se sentent pas à l'aise dans le système économique actuel, et donc ont fait défection. Ils aspirent à autre chose: autre chose que le "toujours plus" productiviste et consumériste. Au bout du compte, c'est pas mal de monde. La course à l'abîme des dirigeants n'en est en rien freinée, on est bien d'accord. Mais je ne m'occupe pas ici des dirigeants.

* Cité par Eric Dupin, Les défricheurs, Voyage dans la France qui innove vraiment, La Découverte, 2014, p. 9.

11/20/2014

Correctif

Les Suisses sont appelés dans quelques jours à se prononcer sur une initiative constitutionnelle appelée "Ecopop", dit le Cuisinier. Cette initiative vise à stabiliser le nombre actuel des habitants du pays. On a atteint aujourd'hui un certain volume de population, on voit bien déjà les problèmes que cela soulève. L'initiative propose d'en rester là, d'empêcher tout accroissement supplémentaire. Plafonner la population, ce n'est pas exactement nouveau comme idée, dit le Visiteur. C'est ce que préconisaient autrefois déjà les philosophes grecs. Tous insistaient sur le fait que la cité, pour se maintenir en bonne santé, ne devrait pas excéder une certaine taille. Au-delà elle courait des risques. C'est le bon sens même. Ce n'est pas ce que pensent les dirigeants, dit le Cuisinier. Le premier instant de stupeur passé, ils ont décrété l'état d'urgence. Les partis officiels serrent les rangs, en appellent à l'union sacrée. Et je ne vous parle pas même des médias. Tous les congés ont été suspendus. Soyons clair, dit le Visiteur. L'utilité de telles procédures (élections, votations, référendums d'initiative populaire, etc.) n'est pas, comme on le croit parfois, de corriger l'Etat total : c'est une erreur que de le penser. Elle est au contraire de montrer qu'aucun correctif, justement, n'est seulement même envisageable (sauf à enfreindre les lois existantes). Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire. Tout à fait, dit le Cuisinier.













11/15/2014

Réflexion

C'était l'autre jour sur France Inter, dit l'Auditrice*. Un officiel défendait le projet de futur zone de libre-change transatlantique. Le traité, a-t-il dit, sera de toute façon soumis au vote du Parlement. Pas de souci donc, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. Je laisse de côté le traité, chacun sait ce qu'il en est. C'est une exigence américaine, personne n'imagine même seulement qu'il ne soit pas, le moment venu, adopté**. Je me suis en revanche fait cette réflexion. En France, comme on sait, deux partis occupent le devant de la scène, l'UMP d'un côté, le PS de l'autre. Deux partis pro-américains, soit dit en passant. Le mode de scrutin leur assure un quasi-monopole d'accès à l'Assemblée nationale, alors même qu'ils ne rassemblent, à eux deux, qu'entre 30 et 40 % des électeurs. C'est très étrange comme situation, mais on y est maintenant habitué. Tout le monde trouve cela normal. Et en y réfléchissant bien, c'est normal. Comme le sont toutes sortes d'autres choses encore: le meurtre d'un manifestant par la police, par exemple. Normal encore qu'un pays exsangue et désargenté envoie ce qui lui reste d'armée guerroyer aux quatre coins de la planète, alors même qu'il éprouve les plus grandes difficultés à contrôler ses propres frontières (ce qui pourtant devrait être sa priorité). Normal au sens où l'on parlait à une certaine époque de "normalisation" (c'était sous Brejnev). C'est l'accumulation même de ces choses, en elles-mêmes complètement anormales, qui les font, globalement, apparaître plus ou moins normales.

* 12 novembre 2014.
** "La guerre économique déclarée par les Etats-Unis à l'Europe n'est pas une simple péripétie de la libre concurrence, c'est le commencement d'une oppression qui ne s'achèvera qu'avec le sous-développement des Etats européens" (Paul Virilio, L'insécurité du territoire, Galilée, 1993, p. 158).