5/29/2013

Sauf qu'ils...

C'est être très bête, ou alors très naïf, que de crier, comme le font certains: "Les gendarmes avec nous" (1), dit l'Ethnologue. Les gendarmes sont d'abord avec le pouvoir. Ils ont été dressés à ça, et en plus sont payés pour ça. Ils n'ont aucun état d'âme. En cette matière-là comme en d'autres, les analyses arendtiennes conservent toute leur pertinence. Les ... ne sont quand même pas des ..., dit la Poire. Non bien sûr, dit l'Ethnologue. Pour la même raison il est stupide de dire que la police protège les personnes et les biens. Elle ne protège en réalité qu'une chose: les dirigeants. N'en attends donc rien, il n'y a rien à en attendre. Sauf qu'ils ne se conduisent pas toujours comme on l'a vu ces derniers jours, dit le Collégien. Parfois même, au contraire, ils se montrent particulièrement accommodants. Ils ferment les yeux sur beaucoup de choses. Ce sont leurs "petits chéris", dit l'Avocate: les petits chéris du pouvoir. Tu ne voudrais quand même pas qu'ils gazent les petits chéris du pouvoir.

(1) Le Monde, 17 avril 2013.

5/28/2013

Devant rien

C'est un régime totalitaire, dit l'Avocate. Il faut le prendre pour ce qu'il est. Hannah Arendt parlait d'"atomisation sociale": on est complètement dans cette logique. Leur but est d'aplanir le paysage social, d'écarter tout ce qui pourrait encore faire obstacle à l'extension illimitée de leur pouvoir: la famille biparentale, en particulier, mais pas seulement. Bien d'autres choses encore. Tout doit disparaître, être éradiqué. Ou alors se transformer en bouillie informe. Pour l'instant encore, les dirigeants s'abstiennent de recourir trop systématiquement à la violence. Leur registre est celui de la contrainte molle, de la décérébration au quotidien. Mais comme cet épisode le montre bien (et il n'est pas le seul), on passe relativement vite de la contrainte molle à des formes de contrainte beaucoup plus dures: gaz asphyxiants, certes, mais aussi arrestations abusives, coups et blessures volontaires, passages à tabac, etc. D'une manière générale, un régime totalitaire ne recule devant rien. Il va toujours jusqu'au bout de ses entreprises. Ou alors recule. Mais s'il recule, c'est qu'il est sur la pente descendante. C'est le début de la fin.





5/27/2013

Programme

Pour beaucoup, le mariage pour tous aurait une fonction dérivative, dit l'Ethnologue. On l'aurait inventé pour occulter la crise, empêcher qu'elle n'occupe trop l'esprit des gens. Personnellement, je suis d'un avis contraire: c'est la crise elle-même qui a une fonction dérivative. Pendant que les gens transpirent et se démènent, les uns pour trouver un emploi, les autres pour ne pas basculer eux-mêmes dans le chômage et la misère, les dirigeants en profitent pour mettre les bouchées doubles dans l'actualisation de leur programme de révolution sociétale, programme, effectivement, articulé à une redéfinition des repères généalogiques les plus originaires. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées comme ils le pensaient. Ils ont dû faire appel aux gardes mobiles, lesquels n'ont pas hésité à agresser de petits enfants en leur balançant des gaz asphyxiants. Ils auraient préféré ne pas devoir le faire, mais voilà, ils n'avaient pas le choix. C'est vrai, dit l'Avocate: on ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie.











5/22/2013

Sans précédent

C'est un geste inaugural, dit l'Auteur*. C'est ainsi au moins que je l'interprète. Et lui-même, semble-t-il, l'a conçu et voulu ainsi. Geste non pas de désespoir (comme, de prime abord, on inclinerait à le croire), mais bien d'espoir. On retiendra aussi l'endroit choisi: à la croisée même de la verticale et de l'horizontale, de la transcendance et de l'immanence. Là même où refleurit la rose, au cœur de ce qui la nie. C'est ce que signifie son acte. Il est trop tôt encore pour en mesurer l'onde de choc. Mais la charge symbolique en est puissante. Elle entre en résonance avec beaucoup de choses en nous (tant inconscientes que conscientes). Le sang des martyrs est la semence des chrétiens, disait Tertullien. En l'occurrence, évidemment, il faudrait changer la formule. Mais le sens profond subsiste. Et son dernier texte: en lequel, entre autres, il désigne l'ennemi. C'est "sans précédent", aurait dit le ministre de l'Intérieur. Il a complètement raison. Sans précédent.

* Dominique Venner s'est suicidé le mardi 21 mai 2013 en la cathédrale Notre-Dame de Paris, près de l'autel. Historien et écrivain, il dirigeait la Nouvelle Revue d'Histoire.

5/12/2013

Etat des lieux

Personnellement je serais un peu moins sévère, dit le Sceptique. Il y a quand même de bons passages dans ce film. Entre autres celui où on la voit avec ses chers collègues transformés en inquisiteurs. Je n'ai peut-être pas exactement passé par là, mais plus ou moins quand même. Les chers collègues, je puis en témoigner, ressemblent assez à la description qu'en donne le film. Ils ont bien ce genre de têtes. A partir de là, on pourrait élargir le débat. Comment s'opère aujourd'hui la sélection des professionnels en ce secteur (chercheurs, enseignants, etc.)? Suivant quels critères? Pour être plus précis encore, à quoi ressemble aujourd'hui une thèse universitaire? Quelle en est la raison d'être? Qu'est-ce qui t'arrive (et immanquablement t'arrive) lorsque ce que tu écris ne correspond pas exactement à ce qu'on attend de toi que tu écrives? Etc. Ensuite tu dresses un état des lieux. Tu décris le néant actuel de la production universitaire courante, au moins en certains domaines (tu vois bien plus ou moins lesquels); les formes diverses et variées de la Gleichschaltung. Tu montres également comment cela se passe au niveau des revues académiques: les filtres, la censure. Tu parles des études de genre. Etc. Un beau sujet de thèse, quoi. Reste à trouver le directeur, dit l'Etudiante.



5/10/2013

La moindre larme

En 1963, Hannah Arendt publia Eichmann à Jérusalem, livre en lequel, entre autres sujets, elle aborde la question du rôle des "conseils juifs" durant la deuxième guerre mondiale, dit l'Ethnologue. Elle ne leur reprochait rien moins que d'avoir coopéré avec les nazis. Le scandale fut énorme. Arendt se retrouva soudain très seule, bon nombre de ses amis rompirent avec elle. Le Mossad s'en mêla en interceptant ses correspondances*. On voulut même l'interdire d'enseignement. Mais cette dernière manœuvre échoua, car elle avait le soutien des étudiants. La cinéaste Margarethe von Trotta revient sur cet épisode en l'interprétant à sa manière**. Tout le film tourne autour de la "banalité du mal", effectivement un grand thème arendtien. Les criminels de masse ne sont que rarement des monstres, soutient Arendt. Il faut plutôt voir en eux des clowns, des êtres inconsistants. Ils font ce qu'on leur dit de faire. On est d'accord ou non avec ces affirmations, mais si Arendt s'est retrouvée un jour en difficulté, ce n'est pas à cause de la banalité du mal: c'est à cause de ce qu'on vient de dire, les conseils juifs. En ce sens, le film n'explique rien. Autre grand défaut du film, celui de céder au pathos. A un moment donné, on nous montre Arendt éclatant en sanglots: c'est un contresens complet. Jamais, en l'occurrence, Arendt n'a versé la moindre larme. Elle était très sûre d'elle-même, très déterminée. On lui fait également dire (sans doute, pour "l'humaniser"): "Penser c'est baiser". Visiblement, Trotta est dépassée par son sujet.

* Lettre de Hannah Arendt à Karl Jaspers du 20 octobre 1963.
** Margarethe von Trotta, Hannah Arendt (2012).

5/02/2013

Amour impossible

Très souvent les mots eux-mêmes nous mènent au-delà des mots, dit l'Auteur. C'est le cas, par exemple, chez Tolstoï: j'en parle parce que je viens de relire Guerre et paixGuerre et paix est typiquement une oeuvre où l'écriture se transcende elle-même dans autre chose qu'elle-même. Il en va de même de L'Education sentimentale de Flaubert. Tous les grands textes de la littérature, en fait, nous mènent au-delà des mots. En revanche il est très difficile, à vrai dire impossible, de faire le même trajet en sens inverse: en revenir aux mots eux-mêmes après être allé au-delà des mots. En substance c'est le message de Martha Argerich dans le très beau film que lui a consacré sa fille*. Le langage musical, nous dit-elle, se situe au-delà des mots, on ne peut donc pas le transcrire en mots. L'émotion musicale dépasse nos capacités de verbalisation. Martha Argerich parle aussi de son "amour impossible" pour Chopin: elle aurait voulu accéder à l'âme de Chopin, mais n'y est jamais parvenue. C'est un peu la même idée. En ce sens la littérature nous permet d'accéder à la musique, mais l'inverse, semble-t-il, non: on ne peut pas exprimer en mots ce que nous dit la musique. Si l'on peut aller de Tolstoï à Chopin, on ne peut pas en revanche aller de Chopin à Tolstoï.

* Stéphanie Argerich, Argerich - Bloody Daughter (2013).