11/24/2007

Cela n'a rien à voir

Le Collégien m'a demandé où je me situais, dit le Sceptique. Je lui ai dit que je ne savais pas. Ce n'est pas exactement la vérité. Je sais très bien en fait où je me situe: nulle part. Mais on était parti sur autre chose. Sur quoi donc, demanda le Philosophe? Sur les problèmes de la très grande pauvreté, dit le Sceptique. Je plaisante: on parlait de la nomenklatura. Aucun rapport bien sûr. Personnellement je m'inscris dans la tradition des Lumières, dit l'Ethnologue. Autrement dit, je crois à la raison, au progrès, et à la liberté. L'Activiste aussi y croit, dit le Philosophe. S'imagine y croire, dit l'Ethnologue. Il n'a, bien sûr, pas la moindre idée de ce que c'est. Si vous voulez mon avis, il fait seulement semblant, dit l'Etudiante. Semblant d'y croire. En réalité, il s'en fiche complètement. Ca n'est pas nécessairement incompatible, dit le Philosophe. En tout état de cause, dit l'Ethnologue, je ne confonds pas les Lumières avec la Cheffe, l'Activiste, la Rapace, Très-dans-la-ligne ou d'autres bêtes de ce genre. Cela n'a rien à voir. Je me retrouve bien, moi aussi, dans les Lumières, dit l'Avocate. "Sapere aude", disait Kant. Aie le courage de te servir de ton entendement. Je ne vois pas, à vrai dire, comment on pourrait être contre. Or les Lumières ne viennent pas de rien. En remontant plus haut encore dans le temps on trouve la Sainte Réformation. C'est l'expression dont on se servait encore, je crois, au XVIIIe siècle: la Sainte Réformation. On la rencontre chez Rousseau. Ah, que j'aime Rousseau! Je suis en train de relire la Nouvelle Héloïse: quelle merveille! Ce qu'il y a de bien dans les Lumières, dit le Philosophe, les vraies, c'est que le principe d'incertitude leur est en quelque sorte inhérent. On voit ça déjà chez Montaigne. La pensée s'essaye elle-même, s'essaye et donc se corrige elle-même en permanence. Trébuche aussi parfois. Se perd en chemin. S'embourbe. Mais c'est la vie même. C'est quand même mieux que d'en appeler, comme le font certains, à la non-pensée. Que c'est triste, ces choses!

11/20/2007

D'elle-même

Il n'y a donc, selon toi, aucune différence entre la gauche et la droite, dit le Collégien? Aucune, je ne dirais pas, dit le Sceptique. On en observe bien une ou deux. Par exemple, la gauche est un peu plus pro-drogue que la droite. Juste un peu, mais un peu quand même. En outre, comme tu le sais, la gauche est favorable à l'adoption d'enfants par des couples homosexuels. La droite n'est pas contre, mais pas exactement pour non plus. Elle se tâte. Quand même, dit le Collégien. Gauche et droite ne mènent pas la même politique. La droite s'occupe plutôt des riches, la gauche des pauvres. Comme tu le sais, le Politologue vient d'écrire un ouvrage important à ce sujet. Apparemment ce n'est pas ce que pensent les pauvres, dit le Sceptique. Aux dernières élections, ils ont voté en masse pour l'Usurpateur. Père, pardonne-leur, ils ne savent ce qu'ils font, dit le Collégien. Là, détrompe-toi, dit le Sceptique, ils le savent au contraire très bien, ce qu'ils font. Soit, dit le Collégien. Mais si la gauche ne s'occupe pas des pauvres, de quoi alors s'occupe-t-elle? Charité bien ordonnée commence par soi-même, dit le Sceptique. D'elle-même, je dirais. C'est ça avant tout qui l'intéresse. La gauche est comme la droite, elle veut élargir sa part du gâteau (postes, salaires, prébendes, festins, honneurs, virées à l'étranger, etc). Certains vont même plus loin encore, ils voudraient avaler tout le gâteau. Dois-je le souligner, c'est relativement nouveau comme phénomène. Si le Politologue t'entendait, dit le Collégien... On ne fait pas le même travail, dit le Sceptique. Et toi-même, dit le Collégien: où te situes-tu? Que sais-je, dit le Sceptique.

11/17/2007

Quelle perte

Ouf, dit l'Auditrice, les élections sont maintenant passées. Et donc la réalité reprend ses droits. Hier, par exemple, à l'Emission, l'Apparatchik est venu parler de son nouveau projet de financement public des partis politiques. Les partis, a-t-il précisé, sont l'articulation même de la démocratie. Il importe donc de leur donner les moyens de fonctionner. Ils fonctionnent très bien sans ça, dit le Philosophe: caisses noires, marchés truqués, abus de biens sociaux, subventions occultes, etc. Pourquoi en plus un financement public? Ce ne serait pas en plus mais à la place, dit l'Auditrice. A la place, je n'y crois pas trop, dit le Philosophe. Arrête, dit l'Etudiante, tu portes atteinte à la démocratie. Autre exemple, dit l'Auditrice: ils ont organisé l'autre jour un débat sur leurs salaires, les leurs propres et ceux de leurs copains-copines. Il y avait là la Bateleuse, l'Epouse, et un troisième dont je n'ai pas bien retenu le nom, Après-moi-le-déluge, je crois. Tous ont reconnu que la situation actuelle était critique. 200 ou 300'000 euros par an, l'équivalent de six ou sept fois le salaire moyen, compte tenu des lourdes responsabilités qui sont leurs (vous n'imaginez pas), c'est tout à fait insuffisant. Pense aussi à ce qui se passe en cas de non-réélection, ces êtres d'élite, dévoués au bien commun, qui se retrouvent du jour au lendemain à la rue, après n'être restés que quatre ou cinq ans en fonction. Aux drames humains, effroyables, qui en résultent. Excuse-moi de t'interrompre, dit le Philosophe. J'espère qu'ils auront eu une pensée au moins pour Igrèke. On en parlait ici-même, en août 2006, avec la Députée*. Son sort est particulièrement tragique. Non, dit l'Auditrice, il n'en a pas été question. Bref, ont-ils conclu, un sérieux effort s'impose dans ce domaine. On s'exposerait autrement au risque non négligeable de voir de tels postes perdre de leur attractivité. La Cheffe, par exemple pourrait être tentée d'aller voir ailleurs. Quelle perte.

* Voir "Hauts salaires", 18 août 2006.

11/16/2007

Le b.a.-ba

Il y a un texte de saint Paul que j'aime bien, dit l'Avocate: "Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien". C'est dans l'Epître aux Romains, chapitre 12, verset 21. C'est magnifique comme texte. Tout le chapitre, d'ailleurs, est à lire. J'aimerais bien, un jour, prêcher là-dessus. Comment l'interpréter, demanda le Collégien? En voici une traduction, dit l'Avocate: s'occuper des pauvres, développer l'instruction publique, combattre la drogue et l'alcoolisme, décourager l'endettement, en tout état de cause ne pas donner soi-même le mauvais exemple dans ce domaine, favoriser l'intégration et autant que possible l'assimilation des étrangers en situation régulière, etc. Si je devais écrire un catéchisme, je commencerais par là. C'est le b.a.-ba. Et quand, malgré tout, le mal ne se laisse pas vaincre par le bien, dit le Collégien? C'est être très naïf que de croire qu'on combat la criminalité en envoyant les criminels en prison, dit l'Avocate. En les y envoyant on ne fait au contraire qu'amplifier encore le phénomène, que l'amplifier et le nourrir. Autant que possible, on devrait s'abstenir d'envoyer les gens en prison. En France, à l'heure actuelle, on compte 65'000 détenus pour 50'000 places. Imagine un peu les conséquences. La prison est un des lieux les plus criminogènes qui soit. Elle a également un effet désintégrateur. Elle est destructrice de l'homme. Personne ne sort indemne d'une telle expérience. Quelle alternative alors, demanda le Collégien? Il y a toutes sortes d'alternatives à la prison, dit l'Avocate. Ce n'est pas ça qui manque. Ce qui manque, c'est une volonté politique. Une certaine transformation des mentalités, aussi. Et pour les autres, dit le Collégien: ceux qu'on enverrait quand même derrière les barreaux? S'occuper de leur réinsertion, dit l'Avocate. Ce devrait être une priorité publique, la priorité des priorités. Y consacrer beaucoup et même un maximum d'argent. A l'heure actuelle, en France, on ne compte qu'un travailleur social pour cent détenus (Philippe Zoummeroff, La Prison, ça n'arrive pas qu'aux autres, Albin Michel, 2006, p. 167). Oui, un sur cent. Et ils prétendent combattre la criminalité.

11/05/2007

Soi-disant

Ecoutez voir, dit l'Etudiante: "Le thème de la surpopulation a fait réémerger les idéologies néomalthusiennes fondées sur l'idée que la principale cause de la dégradation de l'environnement vient de la soi-disant surpopulation". Et encore: "La mentalité catastrophiste devient idéologique quand elle se nourrit de ce pessimisme anthropologique qui ne conçoit pas l'homme comme une ressource (...) Ce pessimisme et cette méfiance pour l'homme se transforment alors en une confiance extrême pour les techniques sélectives comme l'avortement et la stérilisation de masse". Déjà ce style, dit le Collégien. Ces "ismes" en série. C'est le style scientifique, dit le Grammairien. Autant que possible, quand tu parles, la forme doit s'adapter au contenu. "La soi-disant surpopulation", dit l'Auditrice. Ils donnent vraiment l'impression de savoir de quoi ils parlent. Ce n'est pas nouveau, dit l'Ethnologue. Il n'y a pas si longtemps encore, souviens-toi, ils croyaient que le soleil tournait autour de la terre. C'était un dogme. Et bien sûr les idéologues ce sont les autres, dit l'Etudiante. En revanche, dit l'Auditrice, ils maîtrisent bien certaines techniques de base, l'amalgame abusif par exemple. Ce n'est parce qu'on aborde les problèmes liés à la surpopulation (problèmes, hélas, bien réels), ou encore qu'on parle du "fléau de la surpopulation" (James Lovelock, La Revanche de Gaïa, Flammarion, 2007, p. 19), qu'on se transforme par là même en adepte de "l'avortement de masse". C'est de la calomnie pure. Prenons le temps de comprendre, dit l'Ethnologue. Comme tu le sais, ils n'admettent qu'une seule et unique forme de sexualité: celle ordonnée à la procréation. Le reste, à les en croire, serait contre-nature. Ces choses-là ont pour eux une grande importance, ils ne cessent en toute occasion d'y revenir. Le véritable enjeu, il est là. Ce n'est pas tant l'avortement qui est en cause que le préservatif. Etant hostiles au préservatif (à la contraception, etc.), ils ne sauraient que rejeter les thèses écologistes, celles, en particulier recommandant un certain repli démographique et économique. Selon eux, la terre pourrait très bien nourrir 50 milliards de personnes. Ou même 100, pourquoi pas. Elle le peut, car elle le doit. A quel prix et dans quelles conditions, ils ne se posent évidemment pas la question. C'est absurde, dit l'Auditrice. A tes yeux peut-être, mais aux leurs non, dit l'Ethnologue. A leurs yeux, ce qui est absurde, c'est de porter atteinte à la loi naturelle. Enfin, à ce qu'ils appellent la loi naturelle: celle d'Aristote, acclimatée à la morale bourgeoise du XIXe siècle. C'est ça, à leurs yeux, qui est absurde. Que dis-je, criminel. La fin naturelle de l'acte sexuel étant la procréation, il en découle logiquement que les ressources terrestres sont illimitées. Tu me suis? Elles sont illimitées, car autrement il leur faudrait renoncer à l'idée de loi naturelle, à tout le moins en réinterpréter complètement le concept, le repenser. Or il n'en est évidemment pas question. Tout sauf ça. Plutôt mourir sans préservatif que vivre avec. Et dire qu'ils se réclament du christianisme, dit l'Avocate. Quelle image en donnent-ils. Là, je te rassure tout de suite, dit l'Auteur. Nous ne sommes plus aujourd'hui à l'époque de Galilée. Les gens font très bien la différence. Tu sais quoi, dit l'Etudiante: on devrait leur demander d'inaugurer le prochain salon de l'auto à H... Les automobilistes dépriment un peu ces temps-ci. Ca leur remonterait le moral.