3/18/2013

D'ordre privé

Regarde, dit l'Auditrice, c'est dans le Gratuit: édition de Dope-City. Ce titre en une: "Lacéré au cutter sous les yeux de sa fillette". Les médecins ont réussi à le récupérer, mais in extremis. Le lendemain encore, il était aux soins intensifs. Et l'agresseur, me demanderas-tu? Bonne question. L'agresseur, dit le Gratuit, a été "entendu par la justice". Entendu, certes, mais immédiatement "ensuite libéré". Pour si peu, n'est-ce pas, on ne met pas les gens en prison. Et maintenant cette perle: "Il s'agit d'un conflit d'ordre privé". C'est la procureure qui s'exprime. Elle a raison, dit l'Etudiante. Ce sont leurs us et coutumes. Nous n'avons pas à nous en mêler.

3/11/2013

Seulement envisagée

Et dire qu'il a fait mai 68, dit le Double. Autant que je sache, à l'époque, il n'était guère question de l'industrie alimentaire, encore moins de ses rapports avec la pensée (ou l'inverse: de la pensée dans ses rapports avec l'industrie alimentaire). C'est vrai, dit l'Ethnologue. A première vue, on pourrait être surpris. Voici ce qu'en dit Jean-Claude Michéa: "L'idée que le capitalisme moderne représente non pas la trahison mais, au contraire, l'accomplissement des idéaux de Mai 68, soulève la plupart du temps une indignation bien compréhensible en raison de l'ampleur du travail intellectuel et psychologique qu'elle suppose pour être seulement envisagée"*.

L'enseignement de l'ignorance, p. 93.

3/10/2013

Suspect

Tiens, un article du Métaphysicien, dit le Cuisinier. Le sujet en est la non-pensée. Contrairement à d'autres, qui associent la non-pensée à la pensée unique, le Métaphysicien la met, lui, en rapport avec le "pluralisme". Un peu de pluralisme, soit. Mais point trop n'en faut, n'est-ce pas. Exemple, on en est venu ces derniers temps à critiquer l'industrie alimentaire. On ferait mieux de s'occuper des "terribles conditions de vie dans les camps de réfugiés en Syrie". Voilà ce qui s'appellerait penser. Mais justement on ne le veut pas. Il trouve cela "suspect". Etc. Au passage, le Métaphysicien relève que la liberté de l'information s'est aujourd'hui affranchie de toute espèce d'entrave: "Il n'y a plus ni comité central, ni orientation autoritaire des nouvelles". Aucun dogme non plus, bien entendu. Voyez le Journal: quel "foisonnement d'opinions" (sic). Et l'Emission: je ne vous dis pas. Etc. Soit, dit l'Etudiante. Mais là encore on peut se poser la question: croit-il réellement à ce qu'il raconte? Les sentiments que l'on feint, on finit par les avoir, dit l'Ethnologue.



3/03/2013

Réponse bête

Réponse bête, dit l'Auditrice: dans la poche des dirigeants. On fustige volontiers les rémunérations abusives de certains grands patrons, leurs retraites chapeaux, etc. On a sans doute raison de le faire. Mais comme le relevait récemment l'Editeur, c'est l'arbre qui cache la forêt*. Prends l'exemple de Sa Magnificence, le maire de ..., non loin d'ici. Son salaire mensuel se monte à 27'000 euros: 27'000 euros. En connais-tu beaucoup, autour de toi, de personnes qui gagnent 27'000 euros par mois? Autre exemple. Mettons que tu passes quatre ans dans un exécutif régional. Tu rates ta réélection. Qu'à cela ne tienne, tu auras droit en compensation à une rente à vie de 8'000 euros par mois**. Je dis bien: 8'000 euros. Quel que soit ton âge. Certains parleront de corruption, mais il faudrait alors parler de corruption institutionnelle. En France, la communauté urbaine de Metz compte 48 vice-présidents, tous indemnisés à hauteur de 1'700 euros mensuels, charges non comprises***. Là encore, en toute légalité. En Italie, le président de la région Sicile a plus de collaborateurs que le président Obama lui-même****. Etc. Voilà où passe l'argent. Sans compter les à-côtés. Ainsi, le sommet de l'OTAN à Strasbourg en 2009 a coûté 36 millions d'euros au contribuable français*****, soit l'équivalent de mille salaires annuels de postiers ou d'agents SNCF. Etc. Beaucoup de gens, aujourd'hui, vivent comme ça. C'est ce qu'on appelle la nomenklatura.

* Slobodan Despot, "Les huîtres", Le Nouvelliste, 8 février 2013.
** "Hauts salaires", 18 août 2006. Cf. aussi "Quelle perte", 17 novembre 2007.
*** Le Monde, 13-14 juillet 2008.
**** Le Monde, 28 septembre 2012.
***** Le Monde, 22 avril 2011.

3/02/2013

Question bête

Autrefois tu savais plus ou moins où allaient tes impôts, dit le Cuisinier. Ils servaient à financer l'école, la poste, le téléphone, les chemins de fer, etc. On pensait que ces tâches étaient d'intérêt général. Entre-temps les conceptions ont évolué. Le téléphone a été privatisé, quant aux trains, comme on sait, on a eu l'idée géniale de les mettre en concurrence les uns avec les autres, qui plus est sur les mêmes voies. Les usagers s'appellent aujourd'hui clients, et donc, très logiquement, on leur demande de passer à la caisse: cela au nom de la transparence, de la vérité des coûts, etc. Même régime ou presque à la poste. Ce n'est plus aujourd'hui l'Etat qui donne de l'argent à la poste, c'est le contraire: la poste qui donne de l'argent à l'Etat. Si elle ne lui en donne pas (ou pas assez), les directeurs sont remerciés. L'Etat te demande aussi, comme de juste, de participer au financement du traitement des ordures ménagères. C'est le principe du pollueur-payeur. Tu paies ou ne paies pas, mais la plupart des gens paient. Pour autant les impôts n'ont pas diminué. Ils n'ont cessé au contraire d'augmenter. Question bête: si l'argent que tu donnes à l'Etat ne sert plus à financer la poste, le téléphone, les chemins de fer, le traitement des ordures ménagères, etc., où alors part-il?

3/01/2013

En creux

On pourrait aussi parler d'Argo, dit l'Ethnologue*. Au point de vue qui nous occupe, les premières minutes sont peut-être les plus intéressantes. En gros ce que dit le film est correct. Il est exact, par exemple, que les Américains, au début des années 50, ont organisé un coup d'état pour faire tomber le régime du Dr Mossadegh, un nationaliste d'orientation progressiste qui les gênait. Exact encore que le régime du Shah qui lui a succédé ne s'est pas spécialement signalé par l'intérêt qu'il portait aux droits de l'homme. Les Américains font donc leur mea culpa: "mea culpa, mea maxima culpa". Ils se frappent la poitrine. En même temps, ils nous disent, mais en creux: tout ça, c'est du passé, il y a longtemps que nous avons tourné la page. Nous ne nous sommes peut-être pas très bien conduits autrefois, ça c'est vrai. Nous avons organisé des coups d'état, soutenu des régimes sanguinaires, contribué activement au développement du trafic de drogue à travers le monde, financé des guerres civiles en série, planifié des assassinats politiques, etc. Mais le fait même que nous le reconnaissions aujourd'hui montre que nous avons changé. Entre-temps, nous sommes devenus très vertueux. Evidemment rien n'a changé (sinon en pire). Mais le film est là pour nous faire croire le contraire. Très bon film, d'ailleurs.

* Ben Affleck, Argo (2012).