11/29/2013

Scrupuleusement

Il ne faut pas abuser des mots, dit l'Ethnologue: celui de Gestapo par exemple. On l'utilise à toutes les sauces, ce n'est pas raisonnable. On le voit par exemple avec l'OTAN, le TPIY, Europol, Interpol, d'autres institutions encore de ce genre. Certains parlent de "nazisme universel", mais l'expression est contradictoire (contradiction in adjecto). Autant que possible, quand on s'exprime, il faut respecter les règles logiques. Ensuite, comme vous le savez, les Américains n'agissent jamais seuls, mais toujours en étroite concertation avec leurs alliés, ceux de l'OTAN en particulier. Mais pas seulement. L'Autriche, par exemple, qui n'est pas membre de l'OTAN, s'est engagée à livrer à la police secrète américaine l'ensemble des données confidentielles de ses propres citoyens, y compris les empreintes digitales et les analyses ADN. Une série d'accords bilatéraux ont même consacré cet état de choses*. On peut légitimement supposer que de tels accords existent également avec d'autres pays amis et alliés: Suisse, France, Allemagne, Italie, etc. Simplement on ne le se sait pas. Je trouve donc indigne de dire, à plus forte raison encore d'insinuer, que la police secrète américaine (NSA, CIA, DOJ, IRS, etc.) serait une sorte de super-Gestapo ne respectant aucun droit, pas même le droit international. Le droit international, comme vous le voyez, est au contraire scrupuleusement respecté.

Le Monde, 12 juin 2013.



11/18/2013

Deux siècles au plus

On vient d'évoquer la Gleichschaltung, dit le Double. Dans le même ordre d'idées, on pourrait aussi évoquer l'industrie du bruit: rock, hip-hop, techno, etc. De Nuremberg aux raves, en quelque sorte. On peut évidemment faire le parallèle, dit l'Avocate. Personnellement, je remonterais à plus haut encore. Prenez le Sacre du printemps, de Stravinski. Cette pièce a été créée il y a tout juste cent ans, en 1913. On a eu plusieurs fois l'occasion cette année de la réentendre. Ce fut notamment le cas au festival de ..., tout près de chez moi. Comme je ne la connaissais pas, j'ai pris un billet. On sent que le compositeur n'a eu qu'une idée en tête, faire le plus de bruit possible. Plus ça tape, plus il est content. Il faut dire que le chef d'orchestre y mettait du sien. C'est une pièce expérimentale, on essaye d'abord ceci, puis cela, cela encore, etc. Les expériences s'enchaînent les unes les autres, chaque groupe d'instruments y passe tour à tour. Je me suis réjouie quand ça s'est arrêté. Le temps de vie de la musique occidentale n'a pas été très long, dit l'Auteur: deux siècles au plus. En 1914 déjà, tout était fini.

11/17/2013

Culture

Vous vous souvenez de ce mot de Goebbels, dit le Cuisinier: "Quand j'entends le mot culture", etc. Entre-temps, comme vous le savez, les choses ont évolué. Selon certaines enquêtes, sur 100 élèves sortant aujourd'hui de l'école obligatoire, 20 ne savent ni lire ni écrire: je dis bien, 20. Il faut aussi voir ce que lisent les autres, dit le Double: les 80 restants. Le Gratuit, peut-être, et encore. Arrêtez de nous bassiner, dit la Poire. Il faut vivre avec son temps. On est aujourd'hui passé à l'ère numérique. Qui s'intéresse encore à la culture? Moi aussi, je sors mon revolver. En plus, c'est discriminatoire, dit l'Activiste. Discriminatoire, vous voulez dire contraire à la Gleichschaltung, dit le Double? C'est vrai, c'est contraire à la Gleichschaltung. Je ne sais pas, dit l'Activiste. C'est quoi la Gleichschaltung? Pardonnez-moi, j'ai un train à prendre, dit le Double.

11/15/2013

Sous le choc

Tiens, encore un dérapage, dit l'Etudiante. Les dirigeants sont sous le choc. Mettons-nous à leur place, dit le Cuisinier: tant d'efforts pour rien. Et d'argent dépensé. De lois d'exception, etc. Bon, dit l'Auditrice, puisqu'on en est là, on va recourir aux grands moyens. Et pour commencer, la prohibition de la ... Oui, de la ... Il ne sera désormais plus possible d'en importer, ou alors en très petit nombre seulement. Seuls les ministres auront encore le droit d'en consommer. Et encore, pas tous. Quelques-uns seulement. La ... sera remplacée par la poire, politiquement plus digeste. La culture de la poire sera systématiquement encouragée, à certains endroits, même, rendue obligatoire. Il y aura des poiriers partout. Un ministère de la poire sera par ailleurs créé, on en confiera la responsabilité à la Poire. Elle nous fera profiter de ses compétences particulières en la matière. Si je peux rendre service, dit la Poire.




11/07/2013

Basique

J'insiste sur la marche à pied, parce que c'est le mode de déplacement basique, dit l'Auteur. Quand tout le reste disparaît, il te reste encore ça, la marche à pied. Dois-je ici préciser que les dirigeants en sont complètement conscients. C'est pourquoi j'ai parlé ici du loup. Avant d'être une icône écologiste, le loup est un instrument de contrôle social (1). Il en va de même des petits chéris (2), tu vois de qui je parle. Entre les gardes mobiles d'un côté, les loups et les petits chéris de l'autre, la marge de manoeuvre s'amoindrit singulièrement. Si Rousseau voulait aujourd'hui se rendre de Paris à Montmorency, il n'échapperait pas à la nécessité de prendre, comme tout le monde, une carte Navigo, permettant ainsi aux autorités de le suivre à la trace dans tous ses déplacements. On l'obligerait aussi à acheter un téléphone portable, deux précautions valent mieux qu'une. Enfin, s'il le voulait, il pourrait très bien faire l'acquisition d'une voiture, on l'y encouragerait même plutôt: les routes, comme on le sait, sont particulièrement sécurisées (3). Ceci dans un premier temps. Plus tard, dans un second, les gens n'auront même plus le droit, sauf autorisation spéciale, de quitter leur lieu de résidence (ville d'abord, puis quartier, enfin pâté de maisons). Pour éviter qu'ils ne le fassent quand même, ils seront tous équipés d'un bracelet électronique.

(1) Voir "Aucune victime", 17 décembre 2011.
(2) Voir "Petits chéris", 30 avril 2011.
(3) Voir "Salon de l'auto", 8 mars 2007.





11/02/2013

Plus facile

On dit et répète volontiers qu'il est beaucoup plus facile aujourd'hui de se déplacer qu'autrefois, dit le Double. Les risques seraient également moindres. Vraiment? Essaye un peu, par exemple, de te rendre aujourd'hui à pied de Paris à Montmorency (Val d'Oise). Je cite cet exemple parce qu'un auteur que j'aime bien, Rousseau, a souvent fait autrefois le trajet: il en parle dans les Confessions. On peut bien sûr essayer, mais cela ne va pas de soi. Au minimum il te faudra disposer d'une escorte armée (BAC, CRS, GIGN, etc.). Autre exemple maintenant. Au XVIIIe siècle toujours, les gens qui voulaient se rendre à pied de Genève à Chamonix pouvaient le faire en suivant un chemin pédestre le long de l'Arve. Le chemin pédestre, entre-temps, a disparu, il n'y a plus de chemin. Tiens, regarde: c'est une carte au 1: 25'000, celle de l'IGN. Tout l'espace est occupé par le réseau routier et autoroutier. Impossible, donc, de se rendre à pied de Genève à Chamonix. Mettons maintenant que tu te proposes d'aller visiter le Louvre. Autrefois, tu prenais ton billet sans faire la queue, les salles étaient vides. Il en va différemment aujourd'hui. A moins de disposer d'un coupe-file, ce sera plusieurs heures d'attente. Jean Clair relève dans son dernier livre* que pour pénétrer aujourd'hui dans la basilique Saint-Marc à Venise, il te faut patienter une heure de temps. Y pénétrer seulement. Tu peux aller jusqu'au narthex, mais pas plus loin. Impossible d'entrer sous les nefs. Allez dans le Mercantour, dit la Poire. Là, au moins, vous ne rencontrerez personne. Un certain nombre de loups, peut-être. Mais vous ne risquez rien. Comme vous le savez, le loup ne s'attaque pas à l'homme.

*Jean Clair, Les derniers jours, Gallimard, 2013, p. 243.

11/01/2013

A leur place aussi

Lorsqu'on les entend dire qu'ils combattent le ..., on ne peut bien sûr s'empêcher de sourire, dit le Double. Faut-il en effet rappeler la place qu'occupe (et a d'ailleurs toujours occupée) le ... dans leur propre stratégie à eux: autrefois en Afghanistan, au Caucase, dans l'ex-Yougoslavie, en Amérique latine, etc., aujourd'hui même au Sahel et au Moyen-Orient, certains vont même jusqu'à dire dans les banlieues françaises? On leur reconnaît même une certaine expertise en la matière. Leur prétendue guerre contre le ... doit donc être prise pour ce qu'elle est: un simple écran de fumée. Elle leur sert de prétexte pour faire à moindres frais ce qu'il leur serait autrement beaucoup plus difficile de faire: Prism, par exemple. Tout ce que tu dis est exact, dit le Colonel. Pour autant je ne dirais pas qu'ils ne font qu'instrumentaliser le ... C'est plus compliqué. Ils l'instrumentalisent, certes, mais ce qu'il faut comprendre également, c'est qu'eux-mêmes ont pleinement conscience de leur propre vulnérabilité dans ce domaine. Car, vulnérables, ils le sont. Ils sont même très vulnérables. Si l'on faisait le compte de toutes les personnes qui pourraient être tentées aujourd'hui de recourir au ..., ne serait-ce qu'au titre de la légitime défense, pour ne rien dire du droit de résistance, la liste serait particulièrement longue. Les passages à l'acte ne sont d'ailleurs pas rares*. Plusieurs auteurs de fictions** (et même de films***) ont abordé le sujet. Bref, il faudrait peut-être aussi regarder dans cette direction. La peur a été la grande passion de ma vie, disait Hobbes. Certaines peurs sont feintes, un certain nombre d'autres, en revanche, bien réelles, voire justifiées. A leur place aussi, peut-être, j'aurais peur.

* Voir p. ex. Theodore Kaczinski, Unabomber, Xenia, 2008.
**Voir p. ex. Michael Crichton, Etat d'urgence, Pocket, 2007.
*** Voir p. ex. Kelly Reichardt, Night Moves, qui sortira au printemps 2014 (Le Monde, 22 octobre 2013).