On dit et répète volontiers qu'il est beaucoup plus facile aujourd'hui de se déplacer qu'autrefois, dit le Double. Les risques seraient également moindres. Vraiment? Essaye un peu, par exemple, de te rendre aujourd'hui à pied de Paris à Montmorency (Val d'Oise). Je cite cet exemple parce qu'un auteur que j'aime bien, Rousseau, a souvent fait autrefois le trajet: il en parle dans les Confessions. On peut bien sûr essayer, mais cela ne va pas de soi. Au minimum il te faudra disposer d'une escorte armée (BAC, CRS, GIGN, etc.). Autre exemple maintenant. Au XVIIIe siècle toujours, les gens qui voulaient se rendre à pied de Genève à Chamonix pouvaient le faire en suivant un chemin pédestre le long de l'Arve. Le chemin pédestre, entre-temps, a disparu, il n'y a plus de chemin. Tiens, regarde: c'est une carte au 1: 25'000, celle de l'IGN. Tout l'espace est occupé par le réseau routier et autoroutier. Impossible, donc, de se rendre à pied de Genève à Chamonix. Mettons maintenant que tu te proposes d'aller visiter le Louvre. Autrefois, tu prenais ton billet sans faire la queue, les salles étaient vides. Il en va différemment aujourd'hui. A moins de disposer d'un coupe-file, ce sera plusieurs heures d'attente. Jean Clair relève dans son dernier livre* que pour pénétrer aujourd'hui dans la basilique Saint-Marc à Venise, il te faut patienter une heure de temps. Y pénétrer seulement. Tu peux aller jusqu'au narthex, mais pas plus loin. Impossible d'entrer sous les nefs. Allez dans le Mercantour, dit la Poire. Là, au moins, vous ne rencontrerez personne. Un certain nombre de loups, peut-être. Mais vous ne risquez rien. Comme vous le savez, le loup ne s'attaque pas à l'homme.
*Jean Clair, Les derniers jours, Gallimard, 2013, p. 243.