10/23/2015

Achètent

Machiavel explique que les peuples décadents préfèrent, en règle générale, payer un tribut plutôt que faire la guerre*, dit l'Ecolière. N'est-ce pas aujourd'hui ce qui se passe? Qui te dit que les dirigeants veulent la paix, dit l'Ethnologue? Ce qu'ils achètent, ce n'est pas forcément la paix. Quoi donc alors, dit l'Ecolière: la guerre? On tourne un peu en rond. Il y a guerre et guerre, dit l'Ethnologue. On se pose souvent la  question: "Le chaos sauvera-t-il le système?" On parle en fait de ça: du chaos. Le chaos est effectivement une forme de guerre. Mais très particulière. Le chaos, excuse-moi, mais on l'a déjà, dit l'Ecolière. Regarde autour de toi. De même qu'il existe plusieurs espèces de guerres, il existe aussi plusieurs degrés dans le chaos, dit l'Ethnologue. A t'entendre, on dirait que le système est vraiment aujourd'hui en difficulté, dit l'Ecolière. En lui-même, le système se porte plutôt bien, dit l'Ethnologue. Ils ont liquidé à peu près toutes les libertés domestiques, qui dit mieux. Regarde aussi leurs services spéciaux: en France, aujourd'hui, entre 20 et 25'000 personnes, tous des professionnels aguerris. C'est l'articulation centrale du système, son noyau dur, en quelque sorte. La technologie aidant, rien ne leur échappe. Je dis bien, rien. Non, si problème il y a, il se situerait plutôt du côté des dirigeants eux-mêmes. Les dirigeants ont déjà beaucoup de pouvoir. Mais ils aimeraient en avoir davantage encore. C'est humain. Rien qu'en Allemagne, les dépenses liées à "l'asile" s'élèveront l'an prochain à six milliards d'euros**, dit l'Ecolière. Tout ça pour ça? Le pouvoir n'a pas de prix, dit l'Ethnologue.

* L'Art de la guerre, II, 13.
** Le Figaro, 14 octobre 2015.




10/12/2015

S'applique bien

Deux coalitions se font face, dit le Colonel. D'un côté, un bloc américano-islamiste (en fait djihadiste), articulé à l'OTAN et à certains Etats du Golfe; de l'autre, un bloc russo-iranien (incluant sans doute aussi la Chine). Le premier est à l'origine du processus en cours de reconfiguration au Moyen-Orient, avec extension à la Méditerranée et à l'Europe. Il pourrait être qualifié de révolutionnaire-expansionniste, avec, en prime, une composante génocidaire (le djihad proprement dit). Le second est dans une démarche, en revanche, qu'on qualifiera d'endiguement (containment). Cela étant, ni la coalition américano-djihadiste, ni sa concurrente russo-iranienne ne sont des blocs insécables, d'un seul tenant. Bon nombre d'Européens, par exemple, sympathisent avec la Russie de Poutine, en qui ils voient un recours possible contre l'empereur américain. Ils pensent aussi que Poutine pourrait les aider à régler le problème de l'... En sens inverse, on le sait, une partie des élites russes sont sous influence américaine. Les Russes parlent à leur propos de 5e ou même de 6e colonne. Au Moyen-Orient même, beaucoup de musulmans sunnites prient pour le succès de la coalition russo-iranienne, car ils sont hostiles au djihadisme et en particulier à l'EI. Ils ne veulent pas de l'instauration d'un tel régime chez eux. La ligne de partage passe donc à l'intérieur même de chacune des deux coalitions. C'est ce qu'on veut dire quand on parle de "guerre civile mondiale". L'expression est de Carl Schmitt, elle remonte aux années 30 du siècle dernier, alors que le monde était sur le point de basculer dans la Deuxième guerre mondiale. Elle s'applique bien à la situation actuelle.



10/10/2015

Plutôt bien

Dis, Maman, dit l'Ecolière: tu as vu ce qui se passe actuellement en Syrie? C'est quand même intéressant. Personne, disait-on, ne réussirait jamais à en venir à bout. Ou alors cela prendrait des siècles. C'est ce qu'ils disaient tous, en particulier dans leurs think tanks archi-subventionnés. Sauf que les Russes, aujourd'hui, sont en train de démontrer le contraire. Bon, juste une question. Ce que les Russes sont en train de faire en Syrie (et les gens s'accordent à reconnaître qu'ils le font plutôt bien, je veux dire efficacement), pourquoi ne le feraient-ils pas également en …, oui tout à fait: à certains endroits bien précis qu'on leur indiquerait? Pas très loin d'ici, à vrai dire. Ils termineraient ainsi le travail. Prends rendez-vous avec l'ambassadeur, dit l'Avocate. Tu lui poseras la question. On recommencerait ainsi à vivre, dit l'Ecolière. Et par exemple, je pourrais prendre le train ou le métro sans avoir à me demander, chaque fois que je le fais, si j'en sortirais entière. A l'école aussi, peut-être, on respirerait peut-être un peu mieux. Je n'aurais plus le sentiment d'appartenir à une minorité opprimée, contrainte, en permanence, à devoir raser les murs (en me faisant, en prime, traiter de "sale Céfran"). Attention, dit le Double. Tu connais les dirigeants. Leurs "petits chéris", c'est sacré. Personne n'y touche. On peut aussi se passer des dirigeants, dit l'Ecolière. C'est vrai, dit le Double, je n'y avais pas pensé. Le nombre de choses qu'on pourrait faire.




10/05/2015

En contrepartie


Mme … tient le même discours, en fait, qu'Antigone, dit l'Avocate: justice, lois non écrites, etc. Sauf, bien évidemment, qu'elle n'est pas Antigone. Elle n'est que Créon essayant de se faire passer pour Antigone. Ce n'est pas la même chose. Prenons la pièce de Sophocle. Créon a peut-être beaucoup de défauts, mais il faut au moins lui reconnaître une vertu : il ne ment pas. Tout ce qu'il dit, il le pense vraiment. A aucun moment, en particulier, il n'essaye de se faire passer pour Antigone. C'est Antigone qui parle des lois non écrites, non Créon. Les rôles sont ainsi bien séparés. Le spectateur sait très bien qui est qui. A notre époque, en revanche, beaucoup moins. Les lois non écrites se sont aujourd'hui transformées en instruments de pouvoir, occasionnellement, même, de guerre (contre Antigone, justement !). Les dirigeants mentent sur les lois non écrites, comme ils mentent sur le reste: l'économie, l'Ukraine, le Moyen-Orient, l'immigration, le terrorisme, etc. En ce sens, il faudrait peut-être réécrire la pièce. On y verrait Créon et son officier traitant, Créon et ses conseillers en communication, Créon participant à une opération de sauvetage en Méditerranée, Créon armant et finançant en sous-main un certain nombre d'organisations qu'il fait semblant, en surface, de combattre, etc. En contrepartie, il est vrai, Antigone se met parfois à tenir le langage de Créon: "Nous défendons deux mille ans de souveraineté"*. On est à front renversé.

* Déclaration du premier ministre hongrois (Le Figaro, 15 septembre 2015).