12/24/2013

En deçà

Le déclin du christianisme, au moins en Europe, est assez évident, dit l'Ethnologue. Mais il est délicat de l'expliquer. Au siècle dernier, Dietrich Bonhoeffer disait que les dogmes chrétiens étaient devenus "problématiques". Autrement dit, on ne pouvait plus y croire comme on y croyait autrefois. Ils servaient d'habillage au christianisme, mais avec le temps cet  habillage était devenu obsolète. Bonhoeffer appelait de ses voeux l'avènement d'un christianisme qu'il appelait "irréligieux", autrement dit sans dogmes ni miracles*. Il rejoignait ainsi les positions de Rudolf Bultmann, un adepte de la démythologisation**. Les dogmes étaient des mythes, au minimum il fallait les réinterpréter. On adhère ou non à ces conceptions, mais on pourrait se demander si elles épuisent le sujet. Aussi bien Bultmann que Bonhoeffer croyaient au progrès, ils pensaient que l'homme européen était passé de l'ère mythique à l'ère rationnelle. C'est une manière de voir, mais elle est sujette à caution. Regardez les tous, par exemple, devant leur tablette électronique. Vous donnent-ils tellement l'impression d'agir et de se comporter en êtres rationnels?  En un sens oui, au sens de la rationalité instrumentale. Techniquement parlant, ces jouets sont très performants. De vraies petites merveilles. Il faut aussi savoir les utiliser, etc. Mais je ne parle pas de ça. Je parle de choses comme l'équilibre mental, la culture, l'esprit critique, la capacité d'abstraction, le sens esthétique, etc. Dès lors, l'appréciation se nuance. Je résumerais ma pensée en me demandant si l'une, au moins, des raisons de l'actuelle désaffection de l'homme européen à l'égard du christianisme ne tiendrait pas au fait que le christianisme, en l'ensemble de ses manifestations, lui serait devenu inaccessible: cela dépasserait ses facultés de compréhension. C'est trop délié, trop compliqué pour lui. Et donc il s'en détourne. Zinoviev disait que la bêtise devait s'apprendre au même titre que l'intelligence*** C'est en fait ça, le problème. L'état mental de l'homme européen s'est aujourd'hui à ce point dégradé que le christianisme, comme bien d'autres choses encore, d'ailleurs, est devenu pour lui hors de portée. Personnellement, je verrais plutôt les choses ainsi. Loin de s'être projeté au-delà du christianisme, l'homme européen a régressé en deçà.

* Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission, Lettres et notes de captivité, Labor et Fides, 2006.
** Rudolf Bultmann, Nouveau Testament et mythologie, Labor et Fides, 2013.
***Alexandre Zinoviev, Les Hauteurs béantes, L'Age d'homme, 1977, p. 79.