1/24/2016

Voeu pie

C'est une jolie formule, dit l'Avocate: "Apprivoiser les écrans"*. Qui plus est, elle part d'un bon sentiment. On pense ici aux enfants. On voudrait empêcher que ceux-ci ne se transforment trop vite en zombis, ou si l'on préfère en esclaves pavloviens. Et donc on dit aux parents: veillez à ce qu'ils ne restent pas trop longtemps seuls devant les écrans; faites-les parler, amenez-les un peu à raconter ce qu'ils ont vu; échangez, participez. Etc. De tels conseils sont raisonnables, on ne dira pas ici le contraire. Sauf, bien évidemment, que très peu de gens les suivent. Ils relèvent du voeu pie. Les psys isolent une situation donnée, les écrans et leurs utilisateurs, oubliant tout le reste, à commencer par les conditions de vie et de travail concrètes des gens. C'est par là, pourtant, qu'il faudrait commencer. Pour toutes sortes de raisons, professionnelles entre autres, les parents n'ont plus le temps aujourd'hui de s'occuper de leurs enfants. Ils demandent donc aux écrans de les remplacer : occupez-vous en, vous le ferez très bien. A partir de là, quel sens cela a-t-il "d'apprivoiser les écrans"? Soit les parents s'occupent de leurs enfants, en quel cas on n'a pas besoin d'écrans; soit ils ne s'en occupent pas, car ils n'en ont pas le temps : trop fatigués, stressés, passant eux-mêmes aussi beaucoup trop de temps devant les écrans, etc. Mais s'ils n'en ont pas le temps, ils n'en auront pas non plus pour "apprivoiser les écrans".

*Serge Tisseron, 3-6-9-12, Apprivoiser les écrans et grandir, érès, 2013.