6/20/2019

Interchangeables

Reprenons notre comparaison, dit le Visiteur (1). En la prolongeant un peu, on pourrait dire que le mouvement des Gilets jaunes est une révolte populaire, alors que la grève des femmes, elle, illustrerait plutôt ce que Christopher Lasch, dans un de ses livres, a appelé la "révolte des élites" (2). Des élites, en effet, car les collectifs genrés qui en assurent la logistique sont l'émanation des nouvelles classes moyennes urbaines, les élites actuelles. L'idéologie dont elles se nourrissent est le libéralisme culturel (3), idéologie se caractérisant par le zèle qu'elle met à dissoudre tout ce qui subsiste encore des modes de vie et valeurs traditionnels, modes de vie et valeurs faisant obstacle à l'égalisation souhaitée du paysage social, son homogénéisation. En cela elle n'est que l'autre face du libéralisme économique. Elle l'aide en l'accomplissement de sa tâche historique, à savoir la fluidification des marchés, condition elle-même de leur extension à la planète entière. Le libéralisme culturel s'en prend également aux "stéréotypes de genre", car eux aussi, ces "stéréotypes", font obstacle à l'égalisation du paysage social. Hommes et femmes sont interchangeables, ou s'ils ne le sont pas ont vocation à le devenir. C'est ce point de vue que les élites actuelles cherchent à imposer à l'ensemble de la population (qui, elle, dans sa simplicité, continue à croire qu'hommes et femmes ne sont pas faits du même carton). La grève des femmes relève, sous cet angle, de la "stratégie du choc" (4). C'est un accélérateur de mouvement.

(1) Voir "Souhaité", 19 juin 2019.
(2) Christopher Lasch, La révolte des élites et la trahison de la démocratie, Climats, 1996.
(3) Cf. Jean-Claude Michéa, Le loup dans la bergerie, Climats, 2018.
(4) Naomi Klein, La stratégie du choc: La montée d'un capitalisme du désastre, Leméac/Actes Sud, 2008.