1/08/2015

Une feuille

Hier soir, à un moment donné, j'ai entendu cette phrase, dit l'Auditrice:  L'… ne ferait pas de mal à une feuille*. En prime, c'était une femme (une sociologue, je crois). Remarque, c'est peut-être vrai, dit l'Etudiante. L'… tue les êtres humains, mais pas les feuilles d'arbre. La phrase est à prendre au pied de la lettre. On peut aussi la retourner, dit le Double: ils ne feraient pas de mal à une feuille, mais tuent les hommes. L'un ou l'autre. Ce qu'elle dit, bien évidemment, elle n'en croit pas un mot, dit l'Ethnologue. Elle pense le contraire. Mais elle le dit quand même, car si elle ne le disait pas, elle en subirait les conséquences: ne pas être réinvitée à ..., par exemple. Ou si tu préfères, figurer sur une liste noire. Elle n'est donc pas dans le déni, mais dans la simulation du déni: simulation, en l'espèce, opportuniste. Entre occulter le réel et ne pas être réinvitée, elle préfère encore occulter le réel. C'est humain, cela a toujours existé. Mais dans un contexte de chômage de masse, le phénomène tend aujourd'hui à devenir prévalent. Comme le résume Chahdortt Djavann (à propos du dernier livre de Houellebecq, qui en a fait son sujet), "la collaboration est un long fleuve tranquille"**. Et dire que pendant toute une soirée, ils ont pleuré sur la liberté d'expression, dit l'Auditrice. Ils naviguent à vue, dit l'Ethnologue.

* France Inter, 7 janvier 2015.
** Le Figaro, 8 janvier 2015.