La Russie est une puissance nucléaire, dit le Double. Les Américains ne peuvent donc pas lui appliquer le même traitement que celui, terrifiant, qu'ils ont appliqué autrefois à la Serbie et à l'Irak. Le prix en serait beaucoup trop élevé. Ils risqueraient eux-mêmes de disparaître de la carte. Tu raisonnes comme si l'on était encore à l'ère de la dissuasion, dit l'Ethnologue. Or cette ère, aujourd'hui, est close. On est passé à autre chose. Les Etats-Unis ne raisonnent plus aujourd'hui en termes de dissuasion. D'une part, au début des années 2000, ils ont révisé leur doctrine stratégique pour y intégrer le principe du preemptive strike, ce qui en soi, déjà, nous fait sortir de la dissuasion, d'autre part et surtout, ils ne portent plus aujourd'hui sur la guerre nucléaire le même regard qu'autrefois. Non seulement elle ne leur fait plus peur, mais ils sont prêts désormais à en assumer le risque. Je ne dis pas que les Etats-Unis ont d'ores et déjà décidé d'entrer en guerre contre la Russie. Ce que je dis, c'est que le risque nucléaire n'est plus aujourd'hui de nature à les dissuader de le faire (en auraient-ils l'intention). Comprendrait-on autrement leur comportement actuel en Ukraine? Les Etats-Unis ne se laissent plus aujourd'hui dissuader par rien. Quand je parle ici des Etats-Unis, je parle bien entendu de l'Etat américain, plus spécifiquement encore de l'Etat profond aux Etats-Unis: ce qu'on a appelé le complexe militaro-industriel*. En fond de décor, ajouterais-je, un certain nombre de millénaristes jusqu'au-boutistes, ignorant toute espèce de limite.
* Voir "Pressentiment", 28 juillet 2013.