12/01/2012

Babel

C'est un de mes voisins, dit l'Auditrice. Le jour même de ses seize ans, il reçoit une lettre officielle, lettre signée de la colonelle ..., qui commande une caserne à... Cher Fabrice, dit la lettre, je t'écris pour t'informer que tu dois te rendre tel jour à tel endroit pour y subir des tests (et par voie de conséquence aussi nourrir nos innombrables banques de données, particulièrement voraces en ces temps de guerre contre le terrorisme). Surtout n'oublie pas, c'est très important. Si tu ne venais pas, voilà ce que tu risques, etc. C'est leur "journée de la défense", au cas où tu n'aurais pas compris. Maintenant, de deux choses l'une. Soit l'on considère comme normal d'envoyer des lettres de ce genre à un jeune de seize ans (pourquoi pas, pendant qu'on y est, de quatorze), et à ce moment-là on prend la peine, comme il se doit, de le vouvoyer, soit l'on considère qu'il est encore tutoyable, mais on s'abstient alors de lui envoyer de telles lettres. En plus, cette bonne femme, dit l'Etudiante: on l'imagine dans sa caserne. Tout cela est emblématique, dit l'Avocate. Confusion des âges, des sexes, c'est la tour de Babel*. Dois-je vous rappeler comment cela finit.

* "Babel, un texte sur un Etat totalitaire. [...] Peut-être à chaque génération se présente une façon nouvelle de vivre Babel" (Marie Balmary, Le sacrifice interdit, Grasset, 1986, p. 84).