Comme vous le savez, l'Etat allemand organise aujourd'hui encore des procès contre d'anciens gardiens de camp, dit l'Avocate. Pourquoi non. C'est plus de trois quarts de siècle après les faits, mais à partir du moment où la loi le permet (ce qui apparemment est le cas), on ne saurait dire que cela soit contraire à l'Etat de droit. Pardonnez-moi cette tautologie. D'ailleurs, la justice allemande semble aujourd'hui fermement décidée à rattraper le temps perdu. Comme l'explique le Journal, "il n'est plus nécessaire de prouver l'implication d'un accusé dans la mort d'un détenu particulier. La preuve d'un emploi dans un camp suffit pour être condamné (...)"*. Ce qui facilite évidemment bien les choses. Evidemment aussi c'est contraire à la loi. La loi adhère au principe de la présomption d'innocence. Il n'y a plus ici de présomption d'innocence. L'accusé est au contraire présumé coupable. C'est à lui, s'il le peut, de prouver son innocence. S'il le peut. Car comment prouver son innocence? Il est donc "condamné d'avance". C'est ce que relevait récemment Serge Klarsfeld**, en le déplorant d'ailleurs. C'est "tordre le cou à la loi", disait-il. On ne va pas ici défendre les gardiens de camp. Vraiment pas. Mais cela montre ce qu'est devenu aujourd'hui l'Etat de droit. On pourrait prendre d'autres exemples. "Tordre le cou" à la loi, c'est encore ce que les dirigeants savent aujourd'hui faire de mieux.
*
Le Temps (Lausanne), 7 novembre 2018, p. 5.
** France Info, 21 août 2018.