4/29/2007
Effets de miroir
Ah, la droite, dit l'Ethnologue. Elle me cause bien du souci, la droite. Entre nous je m'en fiche, mais bon... J'en parle quand même, il faut bien en parler. Il y a droite et droite, d'ailleurs. Quand je parle de la droite, je parle de la vraie, la vraie de vraie, celle qui ne s'est jamais ralliée à rien, s'est toujours refusée à tout compromis (sauf, bien sûr, en 1940, mais là c'était spécial). Celle, en fait, qui voudrait remonter le cours du temps, en revenir à l'Ancien Régime, que dis-je: aux chansons de geste, aux Mérovingiens, etc. C'est elle qui m'intéresse. Tu rêves, dit le Cuisinier. La droite dont tu parles ne veut pas en revenir aux Mérovingiens. C'est un air qu'elle se donne, c'est tout. La droite est comme la gauche, elle défend l'ordre existant. Ca et rien d'autre. C'est intéressant quand même, dit l'Ethnologue. La droite est le double en miroir de la modernité. La même chose, si tu préfères, mais à l'envers. Esthétiquement parlant ça me plaît. J'aime bien les effets de miroir. Et pour le reste, demanda le Cuisinier? Alain de Benoist s'est récemment exprimé à ce sujet, dit l'Ethnologue (Eléments, No118, Automne 2005, pp. 45-50): selon lui, il n'y a plus aujourd'hui de pensée de droite. La droite s'indigne, la droite se lamente, mais elle a désappris à penser. "Elle ignore même ce que peut être le travail de la pensée". Je suis assez d'accord. Son discours a au moins cent ans d'âge. Il est hors réalité.
4/26/2007
Sans rien laisser dans l'ombre
Beaucoup pensent qu'il suffit de ne pas parler du passé pour l'effacer, dit l'Auteur. Si tel était le cas, évidemment ça se saurait. On peut très bien ne pas parler du passé, le taire, mais en le taisant on ne l'efface en aucune manière, on ne fait que le refouler, l'enfouir en soi. Et donc il est toujours là, il continue à nous hanter. Il nous hante, et les autres se rendent naturellement très bien compte qu'il nous hante. Car il "suinte", pour reprendre l'expression du psychanalyste Serge Tisseron (Secrets de famille, Marabout, 2006). C'est très inconfortable comme situation. Très inconfortable, et l'âme en souffre. Tu connais ce passage de l'Evangile (Luc, 11, 35): "Quand ton oeil est sain, ton corps tout entier est aussi dans la lumière; mais si ton oeil est malade, ton corps aussi est dans les ténèbres". L'âme a donc besoin de clarté, elle vit très mal le fait d'être dans les ténèbres. Or c'est bien ce qui se passe quand on enfouit en soi un secret: on est dans les ténèbres. Que faire alors? En parler, justement, ne rien laisser dans l'ombre. Tout dire, tout publier. Certains, avec plus ou moins de succès, ont tenté de le faire (saint Augustin, Montaigne, Rousseau). Dois-je préciser que quand je parle de l'âme, je ne parle pas seulement de l'âme individuelle mais aussi collective. Car, bien évidemment, les collectivités, elles aussi, ont leurs "secrets de famille". Tu ne va quand même pas me parler du devoir de mémoire, dit le Double. En elle-même, la mémoire ne me gêne en rien, dit l'Auteur: c'est l'instrumentation qui en est faite qui me gêne. La mémoire ne se décline d'ailleurs pas seulement en termes de devoir mais de droit: le droit de mémoire. J'en parle en passant, parce qu'il ne va pas toujours de soi. Ainsi, ce n'est que tout récemment que les Allemands se sont vus reconnaître le droit de parler de ce qui leur est arrivé pendant et après la Seconde Guerre mondiale, des catastrophes qu'ils ont subies (Der Brand, Die Flucht, etc.). Pendant très longtemps, un demi-siècle en fait, ce droit leur a été refusé. C'est aussi ça, la mémoire.
4/19/2007
Très dans la ligne
Il y a quelque temps, exactement quand je ne me souviens plus, on parlait de Très-dans-la-ligne, dit l'Ethnologue. Des gens comme lui, très dans la ligne, il y en a des tas. Prends le Génie, par exemple: je parle du Génie modifié. Tous les jours ou presque les journalistes lui téléphonent, car ils veulent avoir son avis. Son avis sur quoi? Sur tout. Car il a un avis sur tout. En sorte que tous les jours aussi on parle de lui dans le Journal, à l'Emission, etc. Imagine un moment (lui, il est vrai, ne l'imagine même pas: pour lui c'est proprement inimaginable, ça n'arrivera jamais), qu'un jour ou l'autre on oublie de lui téléphoner. C'est forcément, alors, lui qui téléphonerait. Car il vit de ça, ne vit même que pour ça. Il carbure aux médias comme d'autres au canabis, à l'alcool, etc. Evidemment, comme toujours, il y a une contrepartie: c'est d'être très dans la ligne. Or, très dans la ligne, il l'est: presque davantage encore que Très-dans-la-ligne lui-même. Un vrai Génie, te dis-je (même modifié). Dois-je ajouter qu'il n'apprécie guère l'Auteur. Quand il le voit, il change automatiquement de trottoir. Tiens, il y a quelques années...
4/14/2007
Très peu de choses, en fait
Je ne suis pas sûr de croire en l'existence de Dieu, dit le Double. C'est sans importance, dit l'Auteur. Ne te demande pas si tu crois ou non en l'existence de Dieu, demande-toi d'abord dans quel esprit tu abordes ces questions-là, interroge-toi sur toi-même. Sois attentif aussi à la manière dont les autres les abordent, à leur disposition d'âme. C'est ça le critère. Tiens, ce matin, je suis allé entendre la Pasteure. C'était Pâques, elle a donc évoqué la Résurrection: les saintes femmes qui se rendent au tombeau du Christ, et le tombeau est vide: il n'y a personne à l'intérieur, aucun corps. Voilà ce que dit le texte: très peu de choses, en fait. La Pasteure a développé ce point. Le plein et le vide, les fausses attentes liées au plein, les illusions qu'elles engendrent, etc. Elle a insisté ensuite sur le fait que la Résurrection était inséparable des mots qui l'accompagnent, mots d'abord qui se disent, ensuite se fixent, s'écrivent, se transmettent, etc.: de tout un travail de symbolisation, donc (qui se continue aujourd'hui encore). Ce discours-là, je peux le comprendre, il fait du bien à l'âme. Et pour le reste, demanda le Double? Pour le reste, c'est très variable, dit l'Auteur. Prends par exemple le Libraire. C'est un idéologue fondamentaliste, il a une bonne connaissance d'ensemble de la Bible. Mais les propos qu'il tient font parfois peur. Ou, dans un autre style, le Disciple. Lui aussi est grand amateur de citations: la Bible encore, mais surtout Thomas d'Aquin, les encycliques pontificales, le droit canon, les conciles, etc. Il s'est fabriqué une prison sur mesure, il vit maintenant dedans. Que dire encore du Coadjuteur, du Latiniste, du Créationniste, de l'Homophobe, du Sedevacantiste, du..., etc. Bref, ignore les dogmes, ne t'occupe pas de ces choses.
4/08/2007
Une fois que tu es né
On n'est pas, comme vous semblez le croire, dans un système winner-loser (gagnant-perdant), mais bien loser-loser, dit l'Auteur. Tout le monde est perdant, je dis bien: tout le monde. As-tu lu par exemple l'ouvrage de Maria Pace Ottieri: Une fois que tu es né tu ne peux plus te cacher (Xenia, 2007)? C'est intéressant comme ouvrage. Il traite de l'immigration, en particulier des gens qui débarquent à l'heure actuelle à Lampedusa. A Lampedusa, mais aussi ailleurs: sur la côte adriatique par exemple. L'auteur parle de leurs conditions de vie en Italie, conditions d'une extrême précarité. On est en pleine jungle, celle de l'économie grise. En fond de paysage, l'activité des réseaux de passeurs, pourvoyeurs de main d'oeuvre à bon marché. Il faut aussi voir comment ça se passe chez eux, je veux dire: dans leur pays d'origine. Ce n'est pas vraiment la joie. S'ils choisissent de quitter leur pays, c'est souvent qu'ils y sont contraints (par la guerre, les catastrophes naturelles, etc.). Tu dis que tout le monde est perdant, dit l'Avocate. Non, tout le monde n'est pas perdant. Les dirigeants actuels, par exemple, peuvent difficilement être considérés comme des perdants. Ils vivent au contraire très bien. Divide ut impera, etc. De quoi se plaindraient-ils? Tu as toi-même souvent parlé de ces choses. C'est très fragile comme système, dit l'Auteur.
4/04/2007
Pourquoi cette manie
C'est arrivé à H..., dit l'Auditrice. Comme j'adhère aux droits humains, je tairai, n'est-ce pas, leur nationalité. Que leur reprochait-on d'ailleurs? Oh, rien de grave: la participation à un viol collectif. La victime était âgée de 13 ans. On les arrête donc, mais le soir même un juge ordonne leur élargissement. Oui, le soir même. Ah, quelle époque, dit l'Etudiante. Pourquoi cette manie, comme ça, d'arrêter les gens, de les mettre en garde à vue: ça confine à l'acharnement. Ce n'est pas le seul exemple, reprit l'Auditrice. Il y a quelques mois, ils arrêtent une racaille, un type qui en avait poignardé un autre, un jeune de la région. Sa tête ne lui convenait pas. Six semaines à peine plus tard ladite racaille est remise en liberté. Le père de la victime, s'est dit "écoeuré". Ecoeuré pourquoi, dit l'Etudiante? Vraiment je me le demande. On devrait le mettre en examen, celui-là. Il incite à la haine. Soit, dit l'Avocate. Mais ça ne se passe pas toujours comme ça. Vous connaissez, je pense, l'Epouvantail, qui ne le connaît. Un beau matin, lui et sa copine décident d'aller faire une balade, une balade en forêt. Bien sûr tout est enregistré, la police avait pris ses précautions. La forêt était truffée de micros. A leur retour, un juge les attendait. Ils en ont pris pour ixe années. Ferme. Plus un traitement médical en application de la législation sur les délinquants anormaux.
4/03/2007
Antigone
Soit, dit l'Auteur, ce n'est qu'une figure littéraire, un pur produit de l'inventivité philosophique, celle de Sophocle en l'occurrence. Antigone n'a jamais eu d'existence historique. Mais c'est une figure emblématique. Elle n'a peut-être jamais existé en chair et en os, mais le destin qu'elle s'est choisi continue, aujourd'hui encore, de hanter l'imaginaire collectif, au même titre que celui d'autres grandes figures littéraires (Achille, Oedipe, Roland, Tristan et Yseut, le Cid, etc.). A ce titre elle n'est pas extérieure à la réalité. L'Avocate évoquait l'autre jour le souvenir de Charlotte Corday, arrière-petite fille de Corneille, qui, en application même du droit de résistance (originellement mis en forme par les scolastiques, avant d'être avalisé par la Première République), exécuta Marat dans sa baignoire, avant d'être elle-même envoyée à la guillotine. Le paradigme d'Antigone, comme elle le relève, est très présent en arrière-plan. On pourrait aussi évoquer le souvenir de Sophie Scholl et de son frère Hans, décapités à la hache en 1943 pour avoir distribué des tracts antinazis. Eux aussi, tout comme Antigone, étaient à eux-mêmes leur propre loi (autonomos). Ils étaient à eux-mêmes leur propre loi, et tout comme Antigone encore, ils n'avaient demandé le conseil de personne (autognôtos). Bref, Antigone est un mythe, mais l'idéal de vie auquel elle s'identifie, lui, n'a en revanche rien de mythique. On en suit même assez aisément la trace tout au long des siècles. Par le pouvoir de fascination qu'il exerce (et n'a jamais cessé d'exercer), il rejoint l'histoire concrète."Nul ne réalise seul sa destinée", dit Alain de Benoist. Or il y a une exception à cette règle: Antigone justement. Antigone réalise bel et bien seule sa destinée. C'est le sens de son grand dialogue avec Ismène, tout au début de la tragédie. Elle ne doit rien à personne, elle n'est rien d'autre que ce qu'elle a décidé d'être. Du passé elle a fait table rase, elle est subjectivité pure. Par là même, elle transcende la diversité des époques et des cultures. Elle accède à l'universel.