3/29/2007
Distraire les gens
Regarde un peu cette campagne, dit le Cuisinier. C'est extraordinaire. Aucun des vrais problèmes n'est abordé. Aucun. Au contraire ils passent leur temps à les éluder, à parler d'autre chose. Occasionnellement, il est vrai, ils les effleurent. Mais en usant de quels euphémismes! Moyennant quelles précautions de langage! Et ça marche. Les gens ont même l'air très contents. Soyons sérieux, dit l'Ethnologue. Vous semblez croire que ce n'est qu'en période électorale qu'on élude les vrais problèmes. La réalité, vous la connaissez. C'est en permanence qu'on les élude, qu'on s'emploie à en inventer d'autres, de faux, pour distraire les gens, les empêcher de penser aux vrais, etc. De quoi, par exemple, est-il question dans le Journal? Des vrais problèmes? Vous plaisantez. Et à l'Emission? Ne me dites quand même pas qu'à l'Emission on aborde les vrais problèmes. Ou alors on ne parle pas de la même chose. C'est quoi les vrais problèmes, demanda le Collégien? Ouvre un peu les yeux, dit l'Ethnologue. Regarde autour de toi. Tiens, là, par exemple. Oui, là, juste en face de toi. Mais aussi à côté: ça, et encore ça. Et ça. Plus deux ou trois petites choses qu'on ne voit pas (mais il suffit de gratter un peu pour voir). Bon, il y a du monde. On reprendra cette conversation une autre fois.
3/26/2007
L'autonomie
Ca tombe bien, dit l'Auteur, je viens de lire le dernier ouvrage d'Alain de Benoist: Nous et les autres, problématique de l'identité (Krisis, 2006). C'est intéressant comme ouvrage. A. de B. dit que l'identité "ne peut être pensée que dans une dynamique, une dialectique, une logique de la différence toujours confrontée au changement" (p.79). Ca devrait plaire au Sceptique. Le Sceptique, comme vous le savez, ne croit pas aux essences éternelles. Moi non plus, d'ailleurs. A. de B. dit aussi: "Nul ne réalise seul sa destinée" (p. 71). Ici je serais plus réservé. Effectivement, comme il l'explique, le sujet individuel n'existe qu'en lien étroit avec l'élément communautaire (famille, peuple, Etat, nation, culture, etc.). Il est aussi le produit d'une certaine histoire, histoire qui se prolonge en lui, en même temps qu'il la transmet aux autres après lui. La société est donc bien première par rapport à l'individu. Tout cela est vrai. En même temps, il n'est pas niable que les valeurs individualistes ont aujourd'hui beaucoup gagné en importance. De plus en plus de gens aspirent à l'autonomie. Nul, peut-être, ne réalise seul sa destinée, mais beaucoup aujourd'hui le pensent (qu'ils réalisent seuls leur destinée). Non seulement, d'ailleurs, ils le pensent, mais ils vivent d'une certaine manière comme s'il en était déjà ainsi. C'est très nouveau comme attitude. Par là même, l'écart originel entre les valeurs individualistes et la réalité, s'il subsiste, n'en tend pas moins sensiblement à se réduire. L'idée d'un sujet "désengagé", libre de toute détermination a priori, acquiert une part au moins de vérité. C'est très typiquement un processus d'auto-réalisation. Le paradoxe, évidemment, est que cette évolution s'impose aux individus de l'extérieur: c'est la société elle-même qui pousse à l'autonomie! La société reste donc bien, en ce sens, première par rapport à l'individu. Tu ne parles pas d'Antigone, dit le Double. C'est un chapitre à part, dit l'Auteur. Mais tu as raison, on ne peut pas, dans ce contexte, ne pas en parler. Une prochaine fois peut-être.
3/21/2007
Eh bien, ils passent
Aujourd'hui je me retrouve complètement seul, dit le Double. Je ne sais plus où aller. Il te reste encore les orthodoxes, dit le Cuisinier. Le ritualisme intemporel de l'orthodoxie. Croyez-moi, dit le Moine: ce n'est même plus la peine. Tenez, dit l'Etudiante, dimanche dernier je suis allée au temple. Habituellement les pasteurs sont en noir, celui-là pour une fois était en blanc: l'aube du prêtre, j'imagine. L'homélie a duré une dizaine de minutes, on ne peut pas dire qu'il se soit foulé. En fait ce n'était même pas un culte mais un concert-culte, avec le choeur du conservatoire local. Les églises transformées en salles de concert, pourquoi pas, je ne suis pas contre. Mais de préférence pas le dimanche matin, n'est-ce pas? En prime, il faut le dire, la musique n'était pas terrible. Qu'est-ce que je dirais: fin XIXe, début XXe. Et ça traînait, ça traînait... Au bout d'une quarantaine de minutes je me suis levée pour rentrer chez moi. Vous connaissez l'Evangile, dit l'Auteur: le ciel et la terre passeront, etc. Eh bien, ils passent. Mais mes paroles ne passeront pas, lit-on aussi. Ce qui est intéressant, c'est ce type en blanc, dit le Double. Si j'étais ce que je ne suis pas (ou n'étais pas ce que je suis), je dirais qu'il a un problème d'identité. Que je sache, le pasteur n'est pas un prêtre, mais un enseignant. Il porte donc normalement la robe noire de l'enseignant. Nous avons tous aujourd'hui des problèmes d'identité, dit l'Auteur. Toi, moi, l'Etudiante, le Moine, le Cuisinier, tout le monde. C'est ce qui rend la vie intéressante. Autrement, elle serait très ennuyeuse.
3/14/2007
La limite invisible
Quand même, dit l'Etudiante, je m'étonne. Les données disponibles sont sans appel, tout le monde les connaît. Exactement quand la catastrophe se produira, ça, peut-être, on ne le sait pas. Ce qu'on sait, en revanche, c'est que si on ne fait rien, et je vais même plus loin encore: si on ne change pas radicalement de style de vie, ça se terminera comme ça. C'est tout le système qui est en cause, le système de production, mais aussi de consommation. Or rien ne change. Tiens, hier encore, ils ont inauguré une nouvelle autoroute. Leur logique à eux n'est pas la tienne, dit le Colonel. Le désastre dont tu parles, pour le dire honnêtement, ils s'en fichent. Non seulement d'ailleurs ils s'en fichent, mais ils l'appellent de leurs voeux. Si, tout à fait. Ils ne demandent que ça. Comme le dit Hervé Kempf dans Comment les riches détruisent la planète (Seuil, 2007), "ils jouent à se rapprocher toujours plus de la limite invisible du volcan". C'est très typique de leur part. Il en va du réchauffement climatique comme de la vache folle, de la grippe aviaire, de l'amiante, des cancers industriels, des risques nucléaires, des pesticides, des OGM, de bien d'autres choses encore. C'est le paradigme du conatus. On en parlait l'autre jour avec l'Auditrice. Ils iront toujours aussi loin qu'ils le peuvent. Aussi loin qu'ils le peuvent, cela veut dire jusqu'à l'extrême limite (et même au-delà). Le reste, effectivement, ils s'en moquent. Ils n'en ont rien à faire.
3/08/2007
Salon de l'auto
Tiens, le salon de l'auto, dit l'Etudiante. C'est la saison. Il y a quand même un paradoxe, dit le Double. Tout le monde le sait: la voiture, aujourd'hui, c'est fini. Dans trente, au maximum quarante ans, il n'y en aura plus une seule sur les routes. Et pourtant ça continue. Ils font comme si de rien n'était. Te représentes-tu un peu ce que ça leur rapporte, dit le Philosophe? Ca se chiffre en milliards. La bagnole est leur vache à lait, que feraient-ils sans elle? C'est elle qui leur assure leur train de vie. C'est un élément de réponse, dit l'Ethnologue. Mais il y en a un autre, le plus important peut-être: le rôle que joue la voiture en matière de contrôle social. Si tu aimes le contrôle social, vite, dépêche-toi, cours t'en acheter une, n'importe laquelle. Flics, radars, contrôles alcoolémiques, caméras-vidéos, lecteurs automatiques de tes plaques d'immatriculation, tu seras comblé. Sans compter les amendes d'ordre, les jours d'amendes-prison, les retraits de permis, les queues aux guichets de l'administration, etc. Certains ne le savent peut-être pas, mais c'est ça la voiture. La plupart le savent, d'ailleurs. Mais ça leur est égal. Mieux même, ils en redemandent. C'est pourquoi ils sont si nombreux à se presser au salon de l'auto. A contrario, les gens qui aiment la liberté font comme moi: lorsqu'ils se déplacent ils prennent l'autobus, le train, ou encore vont à pied. Là aussi ils te surveillent, mais moins.
3/02/2007
A l'âme
La religion s'exprime aujourd'hui avant tout au cinéma, dit l'Auteur. Soyons clairs, je ne parle pas ici de Mel Gibson, lui n'a évidemment rien à voir avec la religion. C'est même complètement anti-religieux. Je parle d'autre chose. J'ai vu hier le dernier film de Clint Eastwood, Lettres d'Iwo Jima. Si tu veux voir un film religieux, en voilà un, un vrai. C'est magnifique comme film. J'en dirais autant du film de Florian Henckel von Donnersmarck, La vie des autres. Ces deux films traitent du bien et du mal, du mal qui est la règle par opposition au bien qui est l'exception. Mais il y a toujours des exceptions. C'est ce que disait aussi Hannah Arendt. Même dans les pires situations, il y a toujours des gens qui s'écartent des voies habituelles, celles du mal, pour faire le bien. Dans La vie des autres on les appelle des "hommes bons", bons, justement, parce qu'ils accomplissent des actes de pure bonté, de bonté désintéressée. De tels films relèvent du théâtre liturgique, ils jouent à l'époque moderne un rôle analogue à celui de l'ancienne messe tridentine. En même temps, il n'y a aucun dogme. Leur contenu est purement laïc. L'accent est ici mis sur les valeurs, les attitudes. Par ailleurs, ça s'adresse à tout le monde: tout le monde peut comprendre. C'est comme ça que je conçois aujourd'hui la religion. Ces deux films parlent à l'âme.