1/31/2015

Transversale

Soit, dit le Collégien. Mais entre qui et qui ? On oppose volontiers les … aux …, dit l'Ethnologue. C'est, bien sûr, beaucoup plus compliqué. Deux blocs de populations, effectivement, se font face, mais ces deux blocs sont eux-mêmes coupés en deux. Prenons les … Beaucoup de ceux étiquetés comme …, ont, en fait, l'… en détestation profonde. Ils payeraient même très cher pour en être débarrassés. Une majorité de femmes en particulier. En face, c'est la même chose, mais à l'envers. Je citais l'autre jour Chahdortt Djavann: "Le long fleuve tranquille de la collaboration"*. Beaucoup d' …, comme tu le sais, sont très favorables à l'… C'est le cas, comme tu le sais, des dirigeants, mais pas seulement. L'engouement idéologique pour l'…, comme autrefois pour le stalinisme, le maoïsme, etc., s'est aujourd'hui très largement banalisé, en particulier dans les couches semi-instruites de la société (journalistes institutionnels, "politologues", spécialistes auto-proclamés de ceci ou de cela, etc.). Bref, la ligne de fracture passe au milieu même de ces deux blocs de populations. Elle leur est transversale. Soit dit en passant, elle passe également au milieu de l'Etat. Les dirigeants contrôlent la police, dans une certaine mesure aussi l'armée. Mais dans une certaine mesure seulement. L'armée, le cas échéant, pourrait très bien se couper en deux. Tu ne parles pas des services spéciaux, dit le Collégien. Ils ont pourtant joué un grand rôle dans les événements récents. Eux sont en mains états-uniennes, dit l'Ethnologue.

* Voir "Une feuille", 8 janvier 2015.


1/30/2015

Incertitude

Nous parlions l'autre jour du temps démographique, dit l'Ethnologue. Le temps démographique est celui des tendances lourdes, des évolutions à moyen ou long terme. L'avenir se lit déjà dans le présent, il n'y a qu'à prolonger les lignes. C'est le temps des dirigeants. Très différent est le temps de la guerre. "La guerre, dit Clausewitz, est le domaine de l'incertitude"*. Autant dire que dans une guerre, les lignes sont cassées. N'importe quoi peut arriver n'importe quand. On vient d'en voir un exemple. En plus, les retournements de situation sont fréquents. L'observateur est souvent pris à contre-pied. Bref, quand une guerre éclate, tous les compteurs sont remis à zéro. Qu'importent ici les tendances à moyen ou long terme. Chacun a sa chance, à lui de savoir la saisir. Une simple chance, on est bien d'accord. Qui se concrétise ou ne se concrétise pas. Mais une chance quand même. Jusqu'ici, il ne semblait pas qu'il pût y avoir d'alternative à la soumission. La soumission était notre destin, nous n'y échapperions pas. C'est ce que nous susurraient les dirigeants. Il en va différemment maintenant. Nous savons aujourd'hui qu'il existe une alternative au moins à la soumission: la guerre. Il n'y a plus ici de destin: le destin s'interrompt. C'est la guerre elle-même, en l'espèce, qui nous l'enseigne.

* De la Guerre, 1, 3.

1/22/2015

Redécouvrent

C'est toujours une erreur que de vouloir brûler les étapes, dit l'Ethnologue. S'ils étaient raisonnables, ils laisseraient les choses se faire, elles se font très bien toutes seules. Tout tranquillement. Ils n'ont qu'à attendre un peu: attendre que la caille leur tombe toute rôtie dans le bec. Car le temps travaille pour eux: le temps démographique en particulier. En plus, les dirigeants les chouchoutent, tout ce qu'ils exigent d'eux ils l'obtiennent sans peine. Oui, mais voilà, il y a la haine. Et cette haine, chez eux, est sans limite. Ils s'impatientent donc, résistent mal à la tentation d'accélérer encore le rythme. Ce faisant, ils se compliquent à eux-mêmes la tâche. Pour Carl Schmitt, le critère du politique est la distinction de l'ami et de l'ennemi*. On pourrait dire, en ce sens, que les populations européennes redécouvrent aujourd'hui la politique. Une prise de conscience s'est opérée, elle ne devrait pas rester sans suite. C'est bien ce qui inquiète les dirigeants. A vrai dire, ils n'en dorment plus. Ils essayent maintenant de rattraper tout ça (à coup, notamment, de nouvelles lois liberticides), mais ils auront du mal. Une prise de conscience, c'est irrattrapable. On ne revient jamais en arrière dans ce domaine. Les pauvres.

* Carl Schmitt, La notion de politique, Calmann-Lévy, 1972.




1/13/2015

A qui ?

A qui ou à quoi tout cela profite-t-il, dit le Collégien? Sûrement pas au citoyen moyen, dit l'Ethnologue. J'espère que tu en es conscient. On était déjà dans l'après-démocratie*, voici venir le temps de l'après-après-démocratie. De nouvelles lois d'exception sont annoncées, il faut donc s'attendre à plus de police encore, de contrôle social, d'intrusions diverses et variées, etc. Comme tu peux bien l'imaginer, les dirigeants en éprouvent une grande tristesse. Ensuite, si quelqu'un peut aujourd'hui se frotter les mains, c'est bien le Frère. La lutte contre l'…phobie va être décrétée grande cause nationale. Aucun écart ne sera toléré. Quand on a commencé quelque chose, autant aller jusqu'au bout (surtout quand ça patine). Les évolutions en cours vont donc se poursuivre, et non seulement cela mais très probablement encore s'accélérer. Vers 2022, effectivement, l'... pourrait devenir en France religion d'Etat. Enfin, derniers bénéficiaires: nos chers alliés …**. Le chaos comme arme de guerre, la guerre comme instrument de la stratégie du chaos: on a vu ce que cela pouvait donner au Moyen Orient, on commence aussi à le voir en Europe. Mais l'Europe n'est pas le Moyen Orient. Il n'y a donc pas à s'inquiéter.

* Voir "L'après-démocratie", 6 juin 2012.
**Voir "Deux coalitions", 6 août 2014.






1/08/2015

Une feuille

Hier soir, à un moment donné, j'ai entendu cette phrase, dit l'Auditrice:  L'… ne ferait pas de mal à une feuille*. En prime, c'était une femme (une sociologue, je crois). Remarque, c'est peut-être vrai, dit l'Etudiante. L'… tue les êtres humains, mais pas les feuilles d'arbre. La phrase est à prendre au pied de la lettre. On peut aussi la retourner, dit le Double: ils ne feraient pas de mal à une feuille, mais tuent les hommes. L'un ou l'autre. Ce qu'elle dit, bien évidemment, elle n'en croit pas un mot, dit l'Ethnologue. Elle pense le contraire. Mais elle le dit quand même, car si elle ne le disait pas, elle en subirait les conséquences: ne pas être réinvitée à ..., par exemple. Ou si tu préfères, figurer sur une liste noire. Elle n'est donc pas dans le déni, mais dans la simulation du déni: simulation, en l'espèce, opportuniste. Entre occulter le réel et ne pas être réinvitée, elle préfère encore occulter le réel. C'est humain, cela a toujours existé. Mais dans un contexte de chômage de masse, le phénomène tend aujourd'hui à devenir prévalent. Comme le résume Chahdortt Djavann (à propos du dernier livre de Houellebecq, qui en a fait son sujet), "la collaboration est un long fleuve tranquille"**. Et dire que pendant toute une soirée, ils ont pleuré sur la liberté d'expression, dit l'Auditrice. Ils naviguent à vue, dit l'Ethnologue.

* France Inter, 7 janvier 2015.
** Le Figaro, 8 janvier 2015.