8/14/2007

Eux étaient intelligents

Ils n'aiment pas trop la subjectivité, dit le Sceptique. La subjectivité, pourquoi faire? Toutes les révolutions en découlent, quelle horreur. C'est l'anti-civilisation. Voyez Rousseau, ce mauvais écrivain. Qu'a-t-il à parler, comme il fait, du sentiment? A faire ainsi étalage de ses états d'âme? C'est profondément malsain, tout ça. Mais on ne s'en débarrasse pas comme ça, de la subjectivité. En 1921, ils firent paraître un manifeste intitulé le "parti de l'intelligence". Eux étaient intelligents, pas les autres. En toute objectivité, bien sûr. Sept ans plus tôt, en 1914, ils avaient fait campagne contre l'élection de Bergson à l'Académie française. Bergson était juif, or ils ne voulaient pas d'un juif à l'Académie. Ah, l'intelligence! Les uns se référaient à Auguste Comte, les autres au néo-thomisme. Tu as déjà lu Auguste Comte? Ouvre un peu, ça vaut le détour. En juin 1940, ce fut la "divine surprise". Je continue? Bref, il ne suffit pas de condamner certaines choses pour qu'elles disparaissent comme par enchantement. Eventuellement elles disparaissent, mais très vite ensuite elles réapparaissent, réapparaissent ou refont surface, pas forcément, d'ailleurs, sous la forme la plus agréable. En sorte que la personnalité se dédouble, se dédouble entre certaines attitudes qu'elle affiche et d'autres qui la trahissent, la trahissent au sens où elles en révèlent la vraie nature, les vraies tendances. Encore une fois cela n'a rien d'étonnant, c'est le contraire même qui surprendrait.

8/12/2007

Un mélange des deux

Ils n'aiment pas trop les émotions, dit le Sceptique. Ils disent que ça les perturbe. Ce qui les perturbe en fait, c'est d'entendre parler de certaines choses. Voilà ce qui les perturbe. Ces choses-là les angoissent, elles les obligeraient, s'ils les voyaient d'un peu près, à se remettre eux-mêmes en cause. Ils préfèrent donc les maintenir à distance. Mais laissons cela. Sur un point, je suis d'accord avec eux: quand ils disent qu'il faut rester maître de ses émotions. C'est toujours une faute que de se laisser envahir par ses émotions. Pour autant je n'irais pas jusqu'à opposer les émotions à la raison. Certaines colères sont saines. Saines, et parfois même "saintes" (Lytta Basset). Celles liées au sentiment d'injustice, par exemple. Certaines peurs sont également bien fondées. Celle de la charia, par exemple. Par parenthèse, je te signale un article de Monica Papazu dans le dernier numéro de Catholica (Eté 2007, pp. 141-157). Titre de l'article: "L'islam: mémoire et oubli de la chrétienté". C'est une bonne mise au point. Bref, les émotions ne sont pas toujours le contraire de la raison. J'irais même plus loin encore. Autant il faut veiller à ne pas se laisser envahir par les émotions, autant je me méfierais personnellement de la tendance inverse, celle consistant à en faire complètement abstraction, des siennes propres comme de celles des autres, d'ailleurs, pour tout sacrifier à la raison. Non seulement les émotions ne m'apparaissent pas comme quelque chose de négatif, mais je les considère comme particulièrement bénéfiques, bénéfiques à l'activité rationnelle elle-même. Elles contribuent utilement à l'aiguillonner, à la maintenir en mouvement. Autrement elle s'étiole. "La sublime raison ne se soutient que par la même vigueur de l'âme qui fait les grandes passions", disait Rousseau.

8/09/2007

L'édition du jour

Je te montre l'édition d'aujourd'hui, dit l'Etudiante. Pages 1, 2 et 3, les intempéries: les chefs, comme il se doit, se portent au créneau. Quelles photos! Tiens, en voilà un qui règle la circulation. La vie continue. Page 4, les "opinions libres". Comme toujours il y en a deux (pluralisme oblige). La première est celle de Très-dans-le-vent. Très-dans-le-vent dit qu'il ne faut pas mollir: "Ne mollissons pas". L'autre opinion libre est celle de l'Evêque. L'Evêque se dit prêt au dialogue. Page 5, un présumé pédophile a été cueilli chez lui au petit matin. L'article donne l'initiale de son patronyme. Une photo nous montre aussi l'immeuble où il réside. C'est gentil pour sa famille, en particulier pour sa fille (car l'article nous apprend qu'il a une fille, elle va même à l'école). Page 6, un outsider s'est récemment présenté aux élections, avec pour programme des mesures de lutte contre la corruption. Il veut en particulier lutter contre la corruption des juges. Une caricature illustre l'article, elle nous montre deux brancardiers accourant à toutes jambes, avec une ambulance en fond de paysage. Quel sens, effectivement, cela a-t-il de dire que la justice est corrompue? Il faut vraiment être fou pour inventer de telles histoires. Vite, une ambulance. Pages 7 et 8, des adeptes de l'Epouvantail viennent d'être arrêtés à H... Deux pages entières leur sont consacrées. Le Politologue nous livre son commentaire. P. 9, 80'000 personnes se sont rassemblées à V... pour écouter des décibels. La Cheffe a honoré le concert de sa présence. Un show d'exception, dit le journaliste. Et ainsi de suite. C'est toujours pour ton mémoire, demanda l'Ethnologue? Je vois que ça progresse. Je devrai peut-être changer de sujet, dit l'Etudiante. La prof commence à paniquer.

8/04/2007

Quelque chose de grand et de beau

Je crois à la force du désir, dit l'Avocate. Quand on désire vraiment quelque chose, quelque chose de grand et de beau, en règle générale on va jusqu'au bout de son désir. On va jusqu'au bout de son désir, car ce désir est le plus fort. Il est plus fort que tout le reste. Plus fort, en particulier, que la tendance à faire comme les autres, tendance, il est vrai, atavique, inscrite dans le programme génétique. Plus fort que la pression sociale. Toute la question est donc de savoir si un tel désir, on l'a véritablement. L'a-t-on ou ne l'a-t-on pas? C'est le seul vrai problème. Et la famille, demanda l'Etudiante? Que fais-tu de la famille ? Ce n'est pas vraiment un problème, dit l'Auteur. Ou si c'en est un, cela signifie que le désir qu'on a en soi n'en est pas vraiment un. Si tu ne trouves pas en toi la force nécessaire pour passer outre, c'est qu'un tel désir n'est pas réellement présent en toi. Tu crois peut-être qu'il l'est, en réalité il ne l'est pas. Il ne mérite donc pas son nom. Ce n'est qu'une simple image de désir, un faux désir donc. Car autrement tu l'aurais trouvée en toi, cette force. Tu l'aurais trouvée, car elle ne fait qu'un avec le désir. Elle est ce désir même, en sa manifestation essentielle. Et donc tu ne t'arrêtes pas en chemin, tu vas jusqu'au bout. Sais-tu que c'est très évangélique, dit l'Auteur?

Les bonnes recettes

Tu trouves en libairie quantité d'ouvrages intitulés: comment réussir sa vie, dit le Sceptique. Autant que je sache il n'en existe aucun intitulé: comment rater sa vie. C'est une lacune. Comment rater sa vie, les bonnes recettes ne manquent pas. La première est évidemment de faire comme tout le monde, d'imiter les autres. C'est très efficace comme recette. En plus ça n'exige pas d'efforts particuliers. C'est à la portée de tous. Tu peux aussi écouter les conseils d'un certain nombre de spécialistes. Comment rater sa vie, ça, c'est sûr, ils s'y connaissent. C'est une variante de la recette précédente. Troisième recette, maintenant, croire que la réussite d'une vie se mesure au niveau de tes revenus. C'est très courant comme croyance. Regarde le résultat. Autre recette encore, te dire qu'il ne faut pas confondre travail et plaisir. Si tu travailles, c'est pour gagner ta vie, pour ça seulement et pour rien d'autre. Pas pour le plaisir en tout cas. Un bon travail, c'est un travail 24 heures sur 24, avec beaucoup de stress, de chefs qui te font confiance, et bien sûr aussi un salaire au mérite. Dernière recette enfin, faire un suicide manqué et rester handicapé à vie. Arrête, tu me déprimes, dit l'Avocate. Je termine, dit le Sceptique. Tous ou presque croient que leur vie est une grande réussite. En un sens elle l'est puisqu'ils le croient.

8/02/2007

1 dimanche sur 2

Personnellement je ne crois à rien, dit l'Etudiante. Mais je n'en suis pas moins très pratiquante. Tous les dimanches ou presque, je vais au temple ou à l'église. Ca t'étonne? C'est ma manière à moi de marquer ma différence. Va par exemple te poster, le dimanche, au bord de l'autoroute. As-tu tellement envie de faire comme eux? Moi non. Vraiment non. Autre exemple encore. Comme le Journal te l'a appris sans doute, certains viennent de lancer une pétition: ils plaident pour l'ouverture, le dimanche, des grandes surfaces. 6 jours sur 7 pour dépenser leurs euros, ça ne leur suffit pas. Ils en exigent 7: oui, 7. 7 jours sur 7. La ministre, une pragmatique, n'est pas a priori contre, mais préférerait procéder par étapes. On commencera par ouvrir 1 dimanche sur 2, puis ce sera 2 dimanches sur 3, 3 dimanches sur 4, etc. Au passage on biffera le lundi de Pentecôte de la liste des jours fériés. Ca créera, paraît-il, des emplois. Je me résume. Je fais partie des 3, 4 ou 5 % des gens, croyants ou incroyants, qui pensent que l'être humain est autre chose qu'une simple machine à produire, avaler des kilomètres, s'intoxiquer aux pesticides et détruire la planète. Voilà pourquoi, tous les dimanches ou presque, je vais au temple ou à l'église. En plus, j'aime bien l'harmonie des cloches. Ca me change du reste.