11/30/2018

Visites domiciliaires

C'est très mal d'entrer ainsi chez les gens, dit l'Apparatchik. Ces responsables politiques ont droit, comme tout le monde, à une vie privée. Vous pensez à nos petites visites domiciliaires, dit l'Ecolière? Les pauvres. Ce n'était pourtant pas bien méchant. En plus, s'ils le souhaitent, ils pourront en faire état dans leur CV. Comme vous le savez, la plupart de ces dignitaires ont été recrutées sur CV. Ce sont les représentants de la nation, dit la Poire. Vous manquez de respect à leur endroit. Vous savez très bien comment, en France, se font les élections, dit l'Ecolière : mode de scrutin, découpage électoral, médias, "justice", etc. Vous dites: les représentants de la nation. En fait, ces gens ne représentent rien: rigoureusement rien. C'est ça la réalité. S'il vous plaît, ne faites pas cette tête. C'est le retour des années 30, dit l'Epouse. Je suis très angoissée. Le médecin m'a mise sous neuroleptiques. Je vois du brun partout. Les chemises brunes, parlons-en, dit l'Ecolière. Nous au moins, quand on rend visite aux gens, on sonne à la porte. Les gens ouvrent, ensuite seulement on entre. Et l'on discute. Voyez la police secrète d'Etat: elle, au contraire, commence par casser la porte, puis tout le reste à l'intérieur. Aucun rapport, bien sûr, avec les années 30. Voyez aussi leurs robocops encagoulés, qui gazent, cognent, flash-balisent tout ce qui leur tombe sous la main. Rien à voir non plus.

11/24/2018

En trois parties

Comme à l'époque de César, la France est aujourd'hui divisée en trois parties, dit l'Ethnologue*: 1) l'oligarchie en place; 2) la France périphérique ; 3) les petits chéris. L'oligarchie en place considère la France périphérique comme son ennemi prioritaire. Elle lui fait donc la guerre: une guerre, même, qu'on peut qualifier de totale Dans cette guerre, elle s'est alliée aux petits chéris, qui jouent le rôle de force supplétive. En cas de besoin, on peut toujours faire appel à eux. Ils sont très disponibles. D'une manière générale, les petits chéris inspirent une peur salutaire. La peur est le commencement de la sagesse. Beaucoup de gens subissent cette situation, mais on peut aussi ne pas la subir. D'où, justement, le recours à la périphérie. Il y a en effet moins de petits chéris en périphérie qu'au centre.  Certains se mettent donc en marche du centre vers la périphérie. Logique. On pourrait aussi parler de repli stratégique. On quitte les grandes villes, réputées dangereuses, pour migrer vers les petites villes et les campagnes, qui le sont moins. Sauf que la guerre ne cesse pas pour autant. Elle continue. En périphérie, certes, il y a moins de petits chéris qu'au centre, en revanche le système d'extraction de la rente y est poussé à l'extrême. Dame, il faut bien les rémunérer, ces petits chéris. Tout travail mérite salaire. Les gens se retrouvent ainsi le dos au mur. Que se passe-t-il dans ces cas-là? Eh bien ils se révoltent. C'est ce qu'on voit aujourd'hui.

* "Gallia est omnis divisa in partes tres" (Jules César, De bello gallico, I, 1).

11/19/2018

Par son nom

Comment en venir à bout, dit l'Ecolière? Je parle du régime. Première chose à faire, l'appeler par son nom, dit le Colonel. C'est un régime policier, il faut donc dire: c'est un régime policier. Une dictature (1), en fait. En ce sens, le slogan entendu hier: "La police avec nous" est particulièrement débile. La police ne sera jamais avec toi, mon grand. Mets-toi ça dans la tête. Elle est sans état d'âme. Ce sont des mercenaires. Première chose. Deuxième chose, être attentif au rapport de force. Tu as vu le bilan d'hier: plus de 400 blessés, dont certains graves. Cela te montre l'ampleur de la répression. Des témoins ont également relevé des tirs de Flash Ball (2). Rappelons que les Flash Ball sont des armes létales. Elles tuent, ou alors éborgnent. Nulle part ailleurs en Europe on utilise de telles armes. Sans parler des arrestations, plusieurs centaines en une seule journée, prélèvements obligatoires d'ADN à la clé (en cas de refus, tu en prends pour un an: un an ferme). Les Manifs pour tous trouvent ici leur limite. Les autres aussi, d'ailleurs. En Angleterre, il y a une vingtaine d'années, ils avaient bloqué les dépôts de carburants, dit l'Ecolière. Au bout de quatre jours, toutes les raffineries du pays avaient arrêté leurs activités. Oui, ce serait une possibilité, dit le Colonel. Essaye un peu pour voir. Que faire alors, dit l'Ecolière? Jette un coup d'oeil sur les pages économiques des journaux, dit le Colonel. C'est intéressant. Ils parlent de 2025 (3). A mon avis, ce sera pour bien avant. Laisse les choses se faire. Le moment venu, tu finiras le travail.

(1) Voir "De tout", 19 juillet 2017; "Au haut de l'échelle", 7 novembre 2017.
(2) RT France, 18 novembre.
(3) Le Figaro, 13 novembre, p. 21.







11/10/2018

Définitions

Chacun est libre de ses définitions, dit l'Ethnologue. En d'autres termes, l'Etat de droit est très exactement ce qu'on veut qu'il soit. En France, comme vous le savez, on vient d'incorporer l'état d'urgence au droit ordinaire. Certains en ont conclu que la France ne pouvait dès lors plus être considérée comme un Etat de droit. A tort évidemment. La France est bien toujours un Etat de droit. Sauf, justement, que la définition de l'Etat de droit a changé. L'Etat de droit n'inclut désormais plus en son concept la référence à la justice, en tant que garante des droits individuels. La police a tous les droits. Ce travail de redéfinition s'étend également à d'autres domaines. On parlait hier de la présomption d'innocence. L'idée suivant laquelle il reviendrait à l'accusation d'apporter la preuve de ce qu'elle avance est aujourd'hui très largement battue en brèche. C'est à l'accusé lui-même, désormais, estime-t-on, de prouver son innocence. En ligne de mire, en particulier, les délits sexuels. D'où la volonté de faire évoluer les lois dans ce domaine. Personne ne dit qu'une telle revendication (le renversement de la charge de la preuve) serait contraire à l'Etat de droit. Et pour cause, puisque l'Etat de droit n'inclut désormais plus en son concept la présomption d'innocence. A partir de là, vous êtes couvert. Personne ne pourra plus vous accuser de porter atteinte à l'Etat de droit. On est d'accord ou non avec cette reconfiguration conceptuelle. Vous me direz peut-être que vous n'êtes pas d'accord. Mais je ne m'occupe pas de ce que vous pensez vous. Vous pouvez pensez ce que vous voulez. Ce qui compte, c'est ce que pensent les autorités.




11/09/2018

S'il le peut

Comme vous le savez, l'Etat allemand organise aujourd'hui encore des procès contre d'anciens gardiens de camp, dit l'Avocate. Pourquoi non. C'est plus de trois quarts de siècle après les faits, mais à partir du moment où la loi le permet (ce qui apparemment est le cas), on ne saurait dire que cela soit contraire à l'Etat de droit. Pardonnez-moi cette tautologie. D'ailleurs, la justice allemande semble aujourd'hui fermement décidée à rattraper le temps perdu. Comme l'explique le Journal, "il n'est plus nécessaire de prouver l'implication d'un accusé dans la mort d'un détenu particulier. La preuve d'un emploi dans un camp suffit pour être condamné (...)"*. Ce qui facilite évidemment bien les choses. Evidemment aussi c'est contraire à la loi. La loi adhère au principe de la présomption d'innocence. Il n'y a plus ici de présomption d'innocence. L'accusé est au contraire présumé coupable. C'est à lui, s'il le peut, de prouver son innocence. S'il le peut. Car comment prouver son innocence? Il est donc "condamné d'avance". C'est ce que relevait récemment Serge Klarsfeld**, en le déplorant d'ailleurs. C'est "tordre le cou à la loi", disait-il. On ne va pas ici défendre les gardiens de camp. Vraiment pas. Mais cela montre ce qu'est devenu aujourd'hui l'Etat de droit. On pourrait prendre d'autres exemples. "Tordre le cou" à la loi, c'est encore ce que les dirigeants savent aujourd'hui faire de mieux.

* Le Temps (Lausanne), 7 novembre 2018, p. 5.
** France Info, 21 août 2018.



11/05/2018

L'Orient désert

Vous connaissez la formule: "tous ...", dit l'Ethnologue. Ce n'est pas entièrement faux comme formule, mais certaines distinctions ne s'en imposent pas moins. On pourrait d'abord parler de leurs salaires: entre 280'000 et 350'000 francs par an, pour des jobs, il faut le reconnaître, dont la valeur sociale n'est pas toujours très évidente*. De tels montants s'analysent comme corruption institutionnelle. Ensuite il y a les abus de biens sociaux. La corruption pourrait être dite ici semi-institutionnelle. Semi-institutionnelle, car à défaut, comme la précédente, d'être régulièrement budgétée, elle s'est, avec le temps, quelque peu routinisée. Elle est entrée dans les moeurs. Conséquence, il est relativement rare, pour ne pas dire exceptionnel, qu'un édile se voie traîné en justice au simple motif qu'il aurait gonflé indûment ses notes de frais, ou encore confondu, sans trop le vouloir, bien sûr, ses deux cartes de crédit personnelle et professionnelle. On ne dérange pas les juges pour si peu. On est en Suisse. Vous remarquerez d'ailleurs que le mot corruption n'est pour ainsi dire jamais articulé dans ces affaires. Les articles de presse qui leur sont consacrés parlent de tout sauf de ça. Enfin il y a les voyages (privés ou non) dans "l'Orient désert" (Racine), voyages donnant lieu à des rencontres au plus haut niveau (mais on ne l'apprendra, en règle générale, qu'ex post). Il est très difficile ici de dire ce qui est ou non institutionnel. La question, en fait, qui se pose est celle du pouvoir: qui tient qui, quoi, comment. On s'accorde volontiers à dire que quand le diable vous invite, il faut venir avec une longue cuiller.

* "Ces dernières années, la Belgique a traversé une série de crises constitutionnelles qui l'ont temporairement privée de gouvernement: pas de Premier ministre, pas de portefeuille de la santé, des transports, de l'éducation. Bien que ces périodes de vacance du pouvoir aient parfois été exceptionnellement longues - le record s'établit pour l'instant à 541 jours - on n'a noté aucun impact négatif sur la santé, les transports ni l'éducation" (David Graeber, Bullshit Jobs, Les Liens qui Libèrent, 2018, p. 290).