4/25/2019

Epurer

En Espagne, ça vous intéressera peut-être, ils en viennent maintenant à épurer les bibliothèques, dit le Visiteur. 30 % des livres pour enfants ont ainsi été retirés des bibliothèques scolaires, dont le Petit Chaperon rouge, jugé ..., ..., ..., etc. Comme vous le constatez, l'Inquisition est une vieille dame encore alerte. Qui sait même, l'Espagne réussira peut-être un jour à inscrire l'autodafé au patrimoine mondiale de l'Unesco. Ce ne serait que justice. On se souvient de la rencontre du Grand Inquisiteur avec le Christ dans les Frères Karamazov, le roman de Dostoïevski. Pour expliquer son rôle, et en fait le justifier (car il a quand même un peu honte), le Grand Inquisiteur relève que les hommes, quoiqu'ils en disent, n'aiment pas vraiment la liberté. C'est pour eux un fardeau beaucoup trop lourd à porter. Ils lui préfèrent de loin la servitude: "Vive le maître, quel qu'il soit". Le Grand Inquisiteur pourrait répéter aujourd'hui toutes ces paroles, elle restent complètement d'actualité. Sauf que le Christ aurait droit en prime à un cours sur les stéréotypes de genre. On l'emmènerait aussi peut-être participer à un exercice de sauvetage en Méditerranée. On peut dire que c'est la même chose, et en même temps pas la même chose. C'est la même chose, mais autrement.



4/23/2019

Grèves

C'est le sujet aujourd'hui à la mode, dit l'Avocate. On ne discute ici que de ça. Enfin, "discute" est peut-être un grand mot. On est plutôt dans l'invective, leur registre habituel. Je parle de la prochaine "grève des femmes". La raison d'être de telles campagnes est assez claire. Elles permettent aux dirigeants de faire oublier les difficultés objectives auxquelles l'ensemble des sociétaires (hommes et femmes) se trouvent aujourd'hui confrontés: précarité, raréfaction du travail, mobilité forcée, stress, hyperconcurrence, baisse généralisée du niveau de vie, multiplication des Bullshit Jobs, etc. C'est ce qu'on appelle faire diversion. Des grèves comme ça, les dirigeants sont tout à fait pour. Leur seul regret, qu'elles ne durent que vingt-quatre heures. Elles devraient être illimitées. Oui, je sais, les discriminations sont un sujet grave, on ne saurait faire comme si elles n'existaient pas. Il se trouve par exemple que, dans ce pays, les hommes sont astreints au service militaire et non les femmes. C'est un avantage compétitif non négligeable pour les femmes, en particulier les femmes universitaires, qui disposent ainsi de sensiblement plus de temps que les hommes pour fignoler leurs études, et ensuite booster leur sacro-sainte carrière professionnelle, etc. On pourrait peut-être le supprimer. Chacun sait également que les femmes peuvent partir plus vite à la retraite que les hommes, alors même que leur espérance de vie est très largement supérieure à celle des hommes. A partir de là, qu'il n'y ait que 30 % de femmes dans les conseils d'administration, moi, personnellement, je m'en fiche.





4/18/2019

Un temps pour tout

C'est évidemment une métaphore, dit le Visiteur: la France, l'Eglise catholique, l'héritage collectif, etc. Même chose évidemment aussi quand l'Administrateur direct (1) dit de cette cathédrale qu'il la reconstruira "plus belle encore qu'auparavant". On traduit tout de suite, ce n'est pas trop compliqué. On pourrait ici paraphraser l'Ecclésiaste. Il y a un temps pour tout: un temps pour construire, un temps pour détruire. On n'est plus du tout ici dans la métaphore. Ou encore, du passé faisons table rase. Sauf, jusqu'ici, que personne n'était réellement passé à l'acte. Je ne dis pas que certains n'aient jamais été tentés de le faire. Il y a eu des débuts de passage à l'acte. Mais des débuts seulement. On était dans l'improvisation. Une église par-ci, une autre par-là. Il en va différemment aujourd'hui. Il y a maintenant un cahier des charges, des échéances. On fait également appel à des professionnels. Eux connaissent les problèmes, savent comment les résoudre. Un certain nombre de procédures ont été mises au point. Tout est aujourd'hui très méthodique, très systématique. Des spécialistes en communication se tiennent par ailleurs à disposition, prêts à intervenir lorsque la situation l'exige. Un accident est si vite arrivé. Voilà, que puis-je ajouter d'autre? Ceci peut-être: laissons les morts enterrer leurs morts.

(1) Voir "En marche (2)", 4 mai 2017.




4/11/2019

Assange

C'est quoi un héros, dit le Collégien? Tu penses à Assange, dit l'Avocate? Un héros, c'est quelqu'un qui préfère la gloire mais au prix d'une mort rapide à une vie longue mais sans gloire. En ce qui concerne Assange, la gloire lui est d'ores et déjà acquise. La ... et ses sbires ne peuvent rien là-contre. Ils vont bien sûr l'enfermer dans leurs geôles éclairées 24 heures sur 24, se venger de lui (qui les a nargués sept ans durant) en lui faisant subir toutes sortes de sévices. Ils le mettront sous psychotropes (afin de le réduire à l'état de légume). Très vite aussi ils le livreront à la police secrète d'Etat américaine ("Il est notre propriété", a déclaré aujourd'hui un sénateur américain). Ils feront tout cela. Mais ils ne pourront pas faire que ce qu'il a fait, il ne l'ait pas fait. Ce qu'il a fait, il l'a fait, et bien fait, et personne non plus ne pourra le défaire. C'est indéfaisable. Sa gloire est d'avoir pleinement joué son rôle de lanceur d'alerte, en nous donnant à voir ce que si peu de personnes étaient jusqu'alors disposées à voir: tout bonnement la "réalité effective de la chose" (Machiavel). Il l'a donnée à voir, et tout le monde aujourd'hui la voit (derrière les faux décors en carton-pâte, qui tombent aujourd'hui en petits morceaux: démocratie, Etat de droit etc.). Tout le monde sait que ce régime est un régime criminel, juste criminel. Personne ne se fait plus la moindre illusion à ce sujet. C'est ce qu'il a donné à voir. C'est pourquoi il aura une mort rapide.


4/09/2019

Prémisses

Regarde, dit l'Ecolière. C'est extraordinaire. Elle veulent maintenant créer deux parlements: un pour les hommes, l'autre pour les femmes. Deux parlements élus séparément, mais qui siégeraient ensemble. On réaliserait ainsi l'égalité de genre. Elles oublient les personnes intersexe, dit le Collégien. C'est aussi un genre, selon ma prof. Il faudrait en fait trois parlements. Quatre, dit l'Ecolière. Tu oublies les non cisgenre. Dois-je vous rappeler la formule d'Arendt, dit l'Avocate: l'idéologie comme logique de l'idée. C'est l'une des deux composantes du totalitarisme (l'autre étant la terreur). Certaines prémisses étant posées, on en tire certaines conséquences, puis les conséquences des conséquences, d'autres encore, etc. C'est très exactement ce qui caractérise une idéologie: l'idéologie, comme enchaînement sans fin. Ayant posé ça (en l'occurrence, le genre, mais ce pourrait être n'importe quoi d'autre: la classe, la race, l'antirace, l'espèce, etc.), je suis logiquement conduite à poser également ça. Puis ça. Et encore ça. Et ça. Etc. On s'écarte ainsi toujours plus de la réalité. Le critère du vrai n'est plus ici l'adéquation à la réalité, mais la simple cohérence de l'idée avec elle-même. Autrement dit, on est dans une bulle (la bulle idéologique, justement), on ne voit plus que ce qu'il y a à l'intérieur de la bulle. Tout le reste s'efface (avec l'aide, il est vrai, parfois de la police). C'est une forme de narcissisme. Sauf qu'à un moment donné, forcément, la réalité se rappelle à notre bon souvenir. Et la bulle éclate.









4/07/2019

Comprendre

Ce qu'il est important de comprendre, quand on parle de corruption, c'est que la corruption est d'abord un phénomène d'imitation, dit l'Avocate. On imite ce que font les autres. Tiens, regarde. Ce sont des flics, une vingtaine, ils se sont faits prendre la main dans le sac. Non pas un ou deux, mais une vingtaine. C'est beaucoup, une vingtaine. On raisonne volontiers sur la délinquance en termes d'écart, de déviance. Je parle de la délinquance en général. Parfois ça marche, je ne dis pas le contraire. Là, évidemment non, ça ne marche pas. La déviance à vingt ou trente, je n'y crois pas trop. Mieux vaut ici raisonner en termes de conformisme social, d'imprégnation par le milieu. La norme, c'est ce qui se fait. Je fais donc ce qui se fait. Tout le monde le fait, je le fais donc comme tout le monde. Je suis un être normal, je ne voudrais pas attirer l'attention sur moi en me singularisant. Par parenthèse, c'est comme ça aussi que fonctionnent les petits chéris. Je referme la parenthèse. Comme ce sont des flics, ils sont bien placés pour savoir qui, aujourd'hui, fait quoi dans le vaste monde. Par où passe l'argent, comment aussi on se le procure. Les trafics en tout genre, y compris dans la sphère officielle. Certaines notes de frais, suivez mon regard. Voilà, ils sont aux premières loges. Et tu voudrais qu'ils respectent les lois morales (ne parlons pas même de celles de l'Etat)? Je ne suis pas en train de les excuser, j'explique. On peut résister à la pression sociale, mais jusqu'à un certain point seulement.



4/04/2019

Envertueuser

Nous avons parlé l'autre jour de l'idéologie (1), dit l'Avocate. Passons maintenant à la terreur. C'est l'autre composante, on l'a dit, du totalitarisme. Soit ce prof secondaire que son administration vient de suspendre pour une simple remarque, on ne sait trop d'ailleurs laquelle, à deux de ses élèves, remarque qu'elles auraient jugée "sexiste". Le crime verbal, ce crime absolu, dit un personnage des dieux ont soif, le roman d'Anatole France (2). On est en 1793. En principe, on prend la peine d'entendre les gens avant de les sanctionner. C'est ce qu'on appelle l'Etat de droit. Là, apparemment, non (3). L'Etat de droit, je m'assois dessus. Au passage, on relèvera que sycophante est un mot masculin (Le Nouveau Petit Robert, 2010). On pourrait penser peut-être à le féminiser. C'est juste une suggestion. Elargissons maintenant la perspective. Il y a deux ans, le ministre concerné, une bobo globalisée, avait déclaré: "Il faut inscrire l'école dans la modernité (...) Des études soulignent que (...) les enfants que nous formons changeront de métier plusieurs fois au cours de leur carrière" (4). Voilà donc une responsable politique, "de gauche" comme il se doit, qui trouve tout à fait normal qu'on soit amené à changer plusieurs fois de métier au cours de la vie. Pas seulement d'emploi, notez-le bien, mais de métier. Dame, le marché a ses exigences. Ne me dites quand même pas que vous êtes contre le marché. Le marché, j'en suis. J'en vis, même, si vous voulez savoir. Si en plus il contribue, par l'instrumentation un peu biaisée qu'en font certains, à envertueuser les populations, qui s'en plaindrait?

(1) Voir "Prémisses", 9 avril 2019.
(2) Folio, 2017, p. 166.
(3) Radio suisse (Lausanne), 14 avril 2019, vers midi.
(4) "Préparer l'école aux défis de demain", 6 avril 2017.