4/26/2007

Sans rien laisser dans l'ombre

Beaucoup pensent qu'il suffit de ne pas parler du passé pour l'effacer, dit l'Auteur. Si tel était le cas, évidemment ça se saurait. On peut très bien ne pas parler du passé, le taire, mais en le taisant on ne l'efface en aucune manière, on ne fait que le refouler, l'enfouir en soi. Et donc il est toujours là, il continue à nous hanter. Il nous hante, et les autres se rendent naturellement très bien compte qu'il nous hante. Car il "suinte", pour reprendre l'expression du psychanalyste Serge Tisseron (Secrets de famille, Marabout, 2006). C'est très inconfortable comme situation. Très inconfortable, et l'âme en souffre. Tu connais ce passage de l'Evangile (Luc, 11, 35): "Quand ton oeil est sain, ton corps tout entier est aussi dans la lumière; mais si ton oeil est malade, ton corps aussi est dans les ténèbres". L'âme a donc besoin de clarté, elle vit très mal le fait d'être dans les ténèbres. Or c'est bien ce qui se passe quand on enfouit en soi un secret: on est dans les ténèbres. Que faire alors? En parler, justement, ne rien laisser dans l'ombre. Tout dire, tout publier. Certains, avec plus ou moins de succès, ont tenté de le faire (saint Augustin, Montaigne, Rousseau). Dois-je préciser que quand je parle de l'âme, je ne parle pas seulement de l'âme individuelle mais aussi collective. Car, bien évidemment, les collectivités, elles aussi, ont leurs "secrets de famille". Tu ne va quand même pas me parler du devoir de mémoire, dit le Double. En elle-même, la mémoire ne me gêne en rien, dit l'Auteur: c'est l'instrumentation qui en est faite qui me gêne. La mémoire ne se décline d'ailleurs pas seulement en termes de devoir mais de droit: le droit de mémoire. J'en parle en passant, parce qu'il ne va pas toujours de soi. Ainsi, ce n'est que tout récemment que les Allemands se sont vus reconnaître le droit de parler de ce qui leur est arrivé pendant et après la Seconde Guerre mondiale, des catastrophes qu'ils ont subies (Der Brand, Die Flucht, etc.). Pendant très longtemps, un demi-siècle en fait, ce droit leur a été refusé. C'est aussi ça, la mémoire.