11/04/2006
L'Annonciation
Paul dit que l'Eglise est le corps du Christ, dit l'Auteur. A mon avis, il faut élargir la perspective. Qu'est-ce que le corps du Christ? Ce n'est pas seulement l'Eglise, c'est le christianisme lui-même, le christianisme en tant que totalité civilisationnelle. Voilà ce qu'est le corps du Christ. Or cette totalité n'est pas une entité fixe, elle s'est au contraire progressivement construite au fil du temps. Au fil du temps, car l'incarnation elle-même s'inscrit dans la durée. C'est ce qu'illustre la parabole du semeur. "La semence, c'est la Parole de Dieu", lit-on en Luc (8, 11). La Parole se sème donc, c'est le temps des semailles. Ensuite quoi? Il faut que la Parole s'enracine, s'enracine et produise du fruit. C'est l'oeuvre même du temps, cela ne se fait pas un jour. Nombre de chrétiens, on le sait, sont hostiles à la modernité, ils y voient une machine de guerre anti-chrétienne. A mon avis ils se trompent. Ce n'est pas en vain que les historiens de la peinture insistent, comme ils le font, sur l'importance du thème de l'Annonciation dans la peinture italienne des XIVe et XVe siècles. C'est ce que fait par exemple Daniel Arasse dans son ouvrage posthume, Histoires de peintures (France Culture / Denoël, 2004, p. 71). Qu'est-ce que l'Annonciation? C'est le moment où Marie dit oui à Dieu, lui dit oui lorsque Dieu vient lui demande d'être la mère du Sauveur. Car il le lui demande. "Il faut que Marie dise oui pour que l'Incarnation puisse se faire", écrit Daniel Arasse (p. 71). Donc elle dit oui: "Je suis la servante du Seigneur. Qu'il me soit fait selon ta Parole" (Luc, 1, 38). Ta Parole... En cet instant même la Parole se fait chair. Encore une fois, on est en pleine Renaissance, à l'aurore même de la modernité. En sorte que la modernité, pourrait-on dire, est née sous le signe de l'Annonciation. Daniel Arasse ne va peut-être pas jusqu'à le dire. Mais son lecteur, lui, pourrait le dire. Car l'incarnation n'est pas seulement la venue du Christ sur terre, la venue du Christ sur terre n'est que le moment inaugural d'un long processus en lequel il faut reconnaître la transformation progressive de la réalité sous l'effet, justement, de l'incarnation. C'est peut-être ça, la modernité.