2/06/2018

Juste un peu (1)

Tiens, dit le Collégien. Ils sont à nouveau en édition spéciale. La dernière fois, c'était à cause du décès d'une chanteuse des années 60. Un événement cosmique, n'est-ce pas. Aujourd'hui, c'est à cause de la neige. Je n'ai rien contre la neige, encore moins contre les années 60, mais certaines choses ne sont-elles pas plus importantes? Précisément, dit l'Avocate. Pendant que les gens pensent à la neige ou aux années 60, ils ne pensent pas au reste: aux petits chéris, par exemple. Ou encore à l'article 20 de la loi de programmation militaire de 2014, qui légalise l'espionnage généralisé. En fait, ils ne pensent pas. C'est ça le but: empêcher les gens de penser. Si, en effet, les gens se mettaient un peu à penser, juste un peu, les dirigeants auraient peut-être la tâche moins facile. On appelle ça un dérivatif. Autre chose encore. Tu as vu qu'ils insistent beaucoup, ces jours-ci, pour que les gens ne sortent pas de chez eux: "Restez chez vous, ne prenez pas de risques inutiles", etc. Ce ne sont encore que des conseils. Mais demain cela pourrait devenir des ordres. D'autres, avant moi, l'ont relevé: "Les responsables ferment d'ores et déjà tout jardin public, dès lors que le moindre coup de vent s'annonce qui pourrait faire tomber une branche sur la tête d'un malheureux... Cette dérive imbécile ne cesse d'enfler jour après jour. On peut donc être assuré que l'interdiction de sortie de chez soi est pour demain et non pas après-demain!"* Cette dérive n'a rien, en fait, d'imbécile. Elle est tout à fait pensée, délibérée.

*François de Bernard, L'Homme post-numérique, Yves Michel, 2015, p. 79.