J'ai relu hier La Grande Peur dans la montagne, dit l'Ethnologue*. C'est saisissant comme texte. L'histoire, emblématique, est celle d'une catastrophe: la montagne, un beau jour, qui se met en mouvement, renversant tout sur son passage. Car, comme le dit Ramuz, "la montagne a ses idées à elle", elle a "ses volontés". A l'époque de Ramuz, on ne savait pas encore ce qu'était l'économie-monde. Mais on en vivait déjà les commencements. Le roman a pour arrière-plan les tensions inter-générationnelles au sein d'une communauté villageoise, communauté, en fait, qui est un microcosme. En plus petit c'est ce qui se passe ailleurs en plus grand. Les "vieux" ont été mise au rancart, on considère qu'ils ont fait leur temps. D'autres ont pris le relais, de plus jeunes: ils affichent un mépris tranquille pour la tradition ("de vieilles histoires"). Du passé faisons table rase. Le nouveau maire est un pragmatique: non pas exactement corrompu, mais très limité dans son horizon. Les questions budgétaires, donc d'argent, sont pour lui prioritaires. Il ne voit même que ça. C'est déjà la Nouvelle Classe. Dès lors, les événements se précipitent. Une épidémie, en particulier, se déclare, elle contraint les autorités à décréter l'état d'urgence. Le glas retentit, on enterre les morts. Sauf que certaines personnes ne se laissent pas faire, elles sortent leurs fusils. On néglige volontiers cette dimension-là des romans de Ramuz: la révolte. C'est arrivé demain.
* Ramuz, Romans, Pléiade, t. II, p. 413-536.