6/01/2013

Main invisible

En fait, aplanir l'espace social*, c'est ce que fait déjà le marché, dit le Cuisinier. Lui aussi veut tout aplanir, tout éradiquer. Et d'ailleurs, très souvent, y parvient. Mais sans gardes mobiles, gaz toxiques, etc. On fait ainsi des économies. Il n'y a pas d'un côté le marché, de l'autre l'Etat total, dit l'Ethnologue. C'est beaucoup plus intriqué que tu ne le penses. Jusqu'à un certain point, c'est vrai, le marché se suffit à lui-même. Mais jusqu'à un certain point seulement. Au-delà, pour le dernier kilomètre, tu as besoin d'une aide: celle de l'Etat total, justement. Je veux bien croire à l'existence d'une main invisible, mais ce n'est quand même pas la main invisible qui a créé l'OMC, n'est-ce pas? En sens inverse, s'il n'y avait pas le marché, crois-tu que l'Etat total surmonterait aussi aisément qu'il le fait les obstacles sur lesquels, occasionnellement, il lui arrive de buter? Je parlais l'autre jour de la famille biparentale. Parlons plutôt de ce qu'il en reste: car la désagrégation de la famille ne date pas d'hier. "Au lieu de servir de contrepoids au marché, la famille a (...) été envahie et minée par le marché", écrit ainsi Christopher Lasch. Qui précise: "De nos jours, il est de plus en plus clair que les enfants paient le prix de cette invasion de la famille par le marché"**. Bref, ce n'est pas ou bien, ou bien: ou bien le marché, ou bien l'Etat total. Les deux s'étayent l'un l'autre. Et de toute façon, les bénéficiaires sont les mêmes.

* "Devant rien", 15 mai 2013.
**La révolte des élites et la trahison de la démocratie, Champs essais, Flammarion, 2009, p. 105.