12/25/2016

Noyau

On fête aujourd'hui Noël, dit le Double*. En réalité, il y a trois fêtes de Noël. La première commence en octobre et s'étend sur environ deux mois. C'est la fête commerciale. On en a une illustration avec les marchés de Noël. Pour mesurer le degré d'appauvrissement (en même temps que d'abaissement) des populations européennes actuelles, il importe de s'y rendre au moins une fois: juste pour voir. Il y a ensuite le Noël, je ne dirais pas chrétien (assurément non), mais celui des églises établies, drainant, le jour même de Noël (ou la veille au soir), certains éléments des anciennes classes moyennes. Personnellement j'ai cessé depuis longtemps de m'y rendre, par allergie au discours opportuniste des églises et de leurs représentants. Je n'ai pas grand-chose en commun avec ces dignitaires alignés, qui par ailleurs interprètent très mal l'Evangile**. Reste une troisième manière de fêter Noël, la seule, à mon avis, fidèle, non compromissive. Elle s'est beaucoup développée ces dernières années, je la qualifierais de civilisationnelle. Je pense en particulier aux très nombreux concerts de musique ancienne ou baroque dans les églises (je parle ici des bâtiments). De vraies célébrations, en fait. C'est ce qui subsiste aujourd'hui du christianisme en Europe: les derniers vestiges, si l'on veut. Mais l'on pourrait aussi dire, le noyau dur.

* Texte publié une première fois le 25 décembre 2016.
** Voir "Suivent", 8 novembre 2016.

12/18/2016

Résistance

Chez Hobbes, les gens échangent leur liberté originelle contre une promesse de sécurité, dit l'Ethnologue. L'Etat promet aux citoyens de les protéger, en contrepartie de quoi ces derniers renoncent à certaines de leurs libertés. Qu'en est-il de nos jours? On pourrait résumer la situation en disant que les gens n'ont aujourd'hui ni liberté, ni sécurité. Ni liberté: je ne vais pas vous faire un dessin. Dites-moi un peu ce que vous avez encore le droit de faire aujourd'hui. Et même de dire. Qu'est-ce qui n'est pas interdit? Ni sécurité: c'est ce que nous venons de voir. La conséquence en est que le pacte hobbien est aujourd'hui vidé de toute substance: caduc, en fait. Et donc, aussi, on est tout à fait légitimé à ne plus obéir à l'Etat. On continue à le faire parce qu'on y est contraint, mais ce n'est là, justement, que l'effet de la contrainte. Sitôt qu'on peut lui désobéir impunément, on ne s'en prive pas. On est dans un rapport de force. L'Etat ne défend même plus aujourd'hui les frontières. Au nom de quoi, dès lors, continuerait-on à lui obéir? A la limite, même, lui désobéir devient un devoir: le devoir de désobéissance (et, au-delà encore, de résistance: article 35 de la Déclaration des droits de 1793). Bref, si je comprends bien, l'Etat total est par là-même aussi l'ennemi total, dit l'Ecolière. Tu ne choisis pas ton ennemi, dit l'Ethnologue, c'est lui qui te choisit.





12/17/2016

Dignité

Ils parlent de l'image et de la dignité de l'Etat, dit l'Ethnologue. Ces propos me font rire. Qui d'autre, aujourd'hui, que l'Etat lui-même est responsable de la dégradation, effectivement préoccupante (enfin, n'exagérons rien), de l'image et de la dignité de l'Etat? Ils n'ont pas besoin pour cela d'aide extérieure. Ils font très bien le travail tout seuls. Pour le reste, comment croire un seul instant qu'on puisse aujourd'hui mener au sein de l'Etat le moindre début d'amorce de réflexion sur des sujets tels que ceux que vous me citez, sans qu'aussitôt les dirigeants n'interviennent pour y mettre le holà.  L'intérêt de l'Etat n'est en aucune manière d'anticiper sur les risques possibles de crise sociétale (risques que certains n'hésitent d'ailleurs pas à considérer comme des non-risques - un pur produit de l'imagination, n'est-ce pas: il est dramatique d'y ajouter foi), il est au contraire d'anesthésier au maximum les populations en leur distribuant des soporifiques. Logique, puisque, comme cela a souvent été dit, l'Etat s'emploie lui-même à alimenter les crises en question pour les instrumenter à son profit. Nous savons tous également très bien, du moins je l'espère, que si de tels risques devaient un jour se concrétiser, nous ne pourrions compter que sur nous-mêmes. Non seulement l'Etat ne ferait rien pour nous protéger, mais s'il pouvait nous enfoncer davantage encore, il n'hésiterait pas.


12/16/2016

Détresse

La Bique est en très grande détresse, dit l'Auditrice. Les élections ont lieu l'an prochain, or le risque est grand qu'elle prenne une tisane. Les mots me manquent pour dire les effets que l'éventuel effacement de ce condensé de belles compétences pourrait avoir pour le bien commun. C'est inexprimable. Sauf qu'il y a le Journal. Ah, le Journal. Heureusement qu'il y a le Journal. Faire diversion, je sais. C'est même ce que je sais faire de mieux. En plus, je sais qui sont les dirigeants. Les vrais. Et m'inventer des prétextes. Trois personnes sont dans leur collimateur: l'Apiculteur, le Portraitiste, ainsi qu'un proche de l'Epouvantail, auteur d'ouvrages de référence sur les crises sociétales présentes et à venir. Le Journal leur reproche, à eux trois, d'avoir infiltré l'Etat de droit en y créant un groupe de réflexion sur des sujets prohibés: les crises sociétales, justement, mais aussi l'... de masse, le péril ..., etc. La Bique s'est dite profondément choquée par ces révélations. C'est l'image même de l'Etat qui est en jeu: son image même et sa dignité. En plus, le Portraitiste n'a pas de téléphone portable. C'est contraire aux valeurs humanistes. Qui lit encore ces feuilles discréditées*, dit l'Etudiante: ces petites pravdas épanchent leur venin, c'est tout. Les gens haussent les épaules et passent leur chemin. Pour sauver son siège branlant, la Bique, excuse-moi, devra trouver autre chose.

* Cf. L'Antipresse, 4 et 11 décembre 2016 (sur Internet).






12/07/2016

Comme réalité

Parlons un peu maintenant des droits de l'homme, dit le Cuisinier. Comme vous le savez, il existe une commission spécialisée de l'ONU dans ce domaine. Elle est aujourd'hui présidée par l'Arabie séoudite. A partir de là, deux attitudes sont possibles. Ou bien l'on dit: ce système est complètement shizo, il nage en pleine contradiction. Ou bien l'on dit: non, pas du tout. Il est complètement cohérent avec lui-même. Simplement les droits de l'homme ne sont pas ce que vous croyez qu'ils sont. Vous vous imaginez ceci ou cela. Mais vous êtes hors réalité. Vous ne comprenez pas ce que sont réellement les droits de l'homme: les droits de l'homme comme réalité. Personnellement, j'adopte cette deuxième attitude. Ce qui m'intéresse, moi, c'est la réalité. De même, en effet, que Zinoviev parlait du communisme comme réalité*, il y a lieu, en 2016, de parler des droits de l'homme comme réalité: en Europe, par exemple, le fait que vous soyez aujourd'hui privé de tout droit (autre que celui de la boucler). En ce sens, il est tout à fait logique de confier la présidence de la commission des droits de l'homme à l'Arabie séoudite. Machiavel parlait de la "vérité effective de la chose". Nous voici, en l'occurrence, confrontés à la vérité effective de la chose. Pour une fois, la chose s'affiche comme étant ce qu'elle est. Autant ça que le contraire.

* Le communisme comme réalité, L'Age d'Homme, 1981.



12/06/2016

50 %, disons

Voici d'autres chiffres, dit le Cuisinier. En gros, comme vous le savez, plus de la moitié des mariages se terminent aujourd'hui par un divorce. Certains pensent que c'est beaucoup. Personnellement, je pense que c'est très peu. Ah bon, dit la Poire? Il y a quelques années, une femme avait déposé plainte contre son mari parce qu'elle s'estimait délaissée, dit le Cuisinier. Le mari n'accomplissait pas son devoir conjugal. Vous vous dites peut-être que la plainte a été classée. En aucune manière. Non seulement elle n'a pas été classée, mais le mari a été condamné à 10'000 (je dis bien dix mille) euros de dommages intérêts*. A juste titre, dit la Poire. "Celui qui se prive de tous les plaisirs comme un rustre devient une sorte d'être insensible", relève Aristote**. C'est très répréhensible. De plus, sachez-le bien, c'est contraire aux droits de la femme. Je ne discute pas ce point, dit le Cuisinier. La question que je soulève est d'ordre statistique. Pourquoi si peu de gens divorcent-ils? 50 %, effectivement, si l'on tient compte de ce qui précède, c'est très peu. Comme vous le savez, il est interdit de critiquer une décision de justice, dit la Poire. Les gens s'en abstiennent donc, au moins publiquement. Ils montrent par là qu'ils respectent les autorités. 50 % d'entre eux, disons. Ne me dites pas que c'est trop. Si c'est ce que vous pensez, dit le Cuisinier.

* Le Monde, 1er et 14 décembre 2011.
** Ethique à Nicomaque, 1104 a 24.


12/05/2016

Physiologiques

98 % des gens ont donc un téléphone portable, dit le Visiteur. Ce chiffre est énorme, je vous le concède. 95 % aussi des gens regardent la télévision. Là encore, c'est beaucoup. En revanche, paraît-il, beaucoup de gens dissimulent leurs avoirs et leurs revenus pour échapper à la fiscalité confiscatoire. C'est évidemment consternant. Ce qui m'intéresse aussi, c'est ce nouveau débat qui vient de surgir autour de l'IVG. A ce qu'on raconte, les sites de propagande gouvernementaux diffusent toutes sortes d'informations fausses à ce sujet (1). Mais ce qu'on constate aussi, c'est que personne, étrangement, ne les consulte. Les sites les plus consultés sont, au contraire, ceux qui combattent ladite IVG (en proposant, par exemple, des solutions alternatives). Voyez la rage des dirigeants. Quand, par conséquent, on parle d'Etat total, il importe en même temps de bien prendre en compte les résistances auxquelles il se heurte, résistances, en l'occurrence, qu'on pourrait qualifier de physiologiques. Car, pour l'essentiel, elles sont liées au corps. C'est le corps, ici, qui s'exprime. Ou l'âme, ce qui, en fait, revient au même. S'inscrivent également en ce registre les mouvements de résistance à l'... de masse, ... voulue et instrumentée par l'Etat total. Ce qu'on observe donc, c'est un certain devenir institutionnel: devenir, certes, déjà proche de son point d'aboutissement projeté, mais encore inaccompli.

(1) Le Figaro, 2 décembre 2016, p. 10.