12/23/2014

En pratique

C'est une petite Pravda comme il en existe quantité d'autres aujourd'hui, dit le Cuisinier. Mais très typée. Elle assume des tâches de désinformation courantes: cacher ce qu'il y a lieu de cacher, procéder à des amalgames, encenser  l'…, vitupérer M. Poutine, etc. Faute de lecteurs en nombre suffisant, elle est en déficit chronique, ce qui l'oblige assez régulièrement à se re-capitaliser. Mais ce n'est pas en soi un problème. Outre ses tâches habituelles, celles qu'on vient de rappeler, elle sait se rendre utile en répondant à un certain nombre de demandes ponctuelles : l'aide au fuitage d'informations confidentielles, par exemple. La violation du secret de fonction est un délit grave, en principe il peut t'envoyer en prison. En principe, car en pratique les dirigeants ne se gênent pas pour faire ce qu'en principe ils n'ont pas le droit de faire. Les informations en question sont d'ordre fiscal, administratif, judiciaire, etc. L'objectif est de nuire à certaines personnes, parfois aussi, tout simplement, de les intimider. C'est un instrument de pouvoir. Les victimes renoncent, le plus souvent, à déposer plainte, car les plaintes éventuelles sont classées sans suite. Par scrupule éthique, les journalistes se refusent en outre à révéler leurs sources. En l'espèce, ils ont probablement été instrumentés par l'Anguille, agissant elle-même à l'instigation de la Belette. Mais on n'en aura jamais la preuve.




12/20/2014

Be polite

Il y a ce que tu dis, cette sorte d'indifférence, mêlée d'apathie, dit l'Ethnologue*. Mais il y a aussi la peur. Pensez  à ce qui s'est passé le mois dernier à l'aéroport de Moscou. C'est vrai, dit le Double. Un accident est si vite arrivé. Je ne comprends pas, dit la Poire. A ce qu'on raconte, la victime ne voulait pas régler ses factures en dollars mais en euros, dit l'Auditrice. Elle n'aurait peut-être pas dû: je veux dire, pas dû le vouloir**. Vous croyez, dit la Poire? Et leurs drones, dit l'Etudiante. C'est très efficace, un drone. Enfin, c'est ce qu'on dit, Je ne suis pas spécialiste. Ils ont leurs méthodes, dit l'Ethnologue: "Be polite, be professional, but have a plan to kill everybody you meet". Le problème est que les gens qu'ils tuent sont très souvent remplacés par d'autres qui font la même chose, dit le Double. C'est bête. Comme tu le dis, très souvent, dit l'Ethnologue. Tu crois qu'en l'espèce, il en ira différemment, dit le Double? C'est leur voeu le plus cher, dit l'Ethnologue. Ce sont des humanistes, des descendants des Lumières. Ils croient à la bonté naturelle de l'être humain. Et si leurs espoirs sont déçus, dit le Double? "Be polite, be professional, etc.",  dit l'Ethnologue.

* Voir "Hébétude", 14 décembre 2014.
** Voir "Qu'imaginez-vous faire?", 6 juin 2014.


12/15/2014

Scénarios

Il y a deux scénarios possibles, dit le Colonel. L'un serait que les Russes, à un moment donné, déclenchent une contre-offensive. Car jusqu'ici ils ne l'ont pas fait. Ils se sont contentés de temporiser, d'échanger de l'espace contre du temps. Aujourd'hui encore, ils sont sur cette ligne. Notez à ce sujet l'extrême prudence de M. Poutine, le soin particulier qu'il met à ne pas répondre aux provocations du camp d'en face. Or, ne l'oubliez pas, il défend sa frontière. C'est le premier scénario. L'autre s'articule au fait que Russes et Américains n'ont pas le même rapport au temps. Alors que les premiers, traditionnellement au moins, ont pour principe de laisser le temps au temps, les seconds, au contraire, se plaisent à le comprimer: Time is money. De plus, il y a la crise. Il faudrait ici citer saint Paul: "Le temps est écourté"*. Entre un nouveau krach bancaire, celui, précisément, qu'on voit aujourd'hui se profiler à l'horizon, et la guerre, certains, au sein de la suprasociété états-unienne, pourraient être tentés de choisir la guerre. D'une manière générale, la guerre a toujours été considérée comme un bon moyen de relancer l'économie. En l'espèce, je pense, il s'agirait d'une attaque surprise, avec utilisation d'armes de destruction massives (preemptive strike). Il y aurait bien sûr une riposte (second strike: les SNLE russes), mais les Américains n'en ont cure. Comme nous l'avons déjà relevé, ils ne se laissent plus aujourd'hui dissuader par rien**.

* I Cor, 7, 29.
** Voir "Par rien", 21 juillet 2014.

12/14/2014

Hébétude

Lentement mais sûrement, l'Europe est en train de basculer dans la guerre, dit le Cuisinier. Or très peu de gens en ont conscience. Les mouvements anti-guerre sont muets, on se demande même s'ils existent encore. On compte sur les doigts d'une main les intellectuels ou responsables politiques européens se hasardant, ô combien prudemment d'ailleurs, à critiquer les initiatives états-uniennes à l'Est. Aucun appel, non plus, à manifester dans la rue, comme ce fut encore le cas lors de la guerre en Irak, en 2002. A quoi cela tient-il? Pour une part, sans doute, au sentiment de fatalité. Les gens pensent que l'histoire se fait désormais sans eux, qu'ils n'ont plus prise sur rien. Ils pensent également qu'il n'y a aucune alternative à rien: ni aux Américains, ni au reste. Les choses se font parce qu'elles doivent se faire, de la manière aussi dont elles doivent se faire. Etc. Les gens sont aujourd'hui habitués à penser ainsi. Ils sont fatalistes, mais aussi apathiques. N'importe quoi aujourd'hui pourrait se produire, rien ne les arracherait à leur hébétude profonde, hébétude, faut-il le dire, habilement entretenue. On les dirait sous anesthésie. Bref, jamais le système n'est apparu aussi verrouillé, cadenassé. Quant aux médias, ils trouvent naturellement tout cela très bien.







12/07/2014

Singularité

C'est une singularité française, dit le Double. En France, quand tu en a marre de la ville, tu as toujours cette possibilité-là: te retirer à la campagne (en Ardèche, dans les Cévennes, etc.). Cela exige une certaine inventivité, de la débrouille, mais c'est faisable. Les gens achètent des maisons à bas prix dans des endroits reculés pour, ensuite, les transformer en lieux de vie alternatifs: fermes, écoles aux champs, alterentreprises, etc. C'est très bien décrit dans ce livre*. Ce qu'en revanche l'auteur ne dit pas, c'est que cela n'existe qu'en France. Ailleurs, ce n'est même pas envisageable. Ou alors tu disposes de gros moyens. J'ouvre ici une parenthèse. Un film passe à l'heure actuelle sur les écrans, il raconte l'histoire (vraie) d'un homme et de ses deux enfants disparaissant un jour dans la clandestinité. Au bout de onze ans ils ré-émergent**. C'est un peu extérieur au sujet, mais moins qu'il n'y paraît. La France est encore un pays où il est possible de prendre le maquis. Dernière remarque enfin. Au nombre des raisons qui poussent aujourd'hui les gens à quitter les villes, la moindre, on le sait, n'est pas celle liée à l'… de masse. L'auteur n'en parle guère, mais c'est une des dimensions aussi du problème. "Voyage dans la France qui innove vraiment", dit le sous-titre du livre. La France qui "innove vraiment", si je puis me permettre, est aussi une France qui se regroupe.

* Eric Dupin, Les défricheurs: Voyage dans la France qui innove vraiment, op. cit. (voir "Bérésina", 30 novembre 2014).
** La vie sauvage, film de Cédric Kahn (2014).